Recherches
sur l' origine et la formation de la langue romane.
Éléments
de la grammaire de cette langue, avant l' an 1000.
Dès que
les Romains se crurent appelés à la conquête du monde, ils
sentirent l' avantage et la nécessité d' attacher à la métropole
les nations soumises ou vaincues: parmi les moyens que la sagesse du
sénat eut l' art d' employer, l' un des plus prompts et des plus
efficaces fut d' établir, avec ces différentes nations, les
rapports sociaux, les liens politiques d' une communauté de langage;
et toutes les fois que la victoire permettait au peuple-roi d'
imposer le joug de sa domination (1), il imposait aussi celui de son
idiôme.
(1) At enim opera data est ut imperiosa civitas non
solùm jugum, verùm etiam linguam suam domitis gentibus, per pacem
societatis, imponeret. S. August. de Civit. Dei, lib. 19, cap. 7.
Les
magistrats romains affectèrent de n' admettre que cet idiôme dans
leurs communications avec les cités de la Grèce et de l' Asie; plus
ils faisaient vanité de connaître et d' estimer les chefs-d'œuvre
de la littérature grecque, plus ils exigeaient impérieusement que
le descendant de Miltiade ou d' Aristide, empruntant la voix d' un
interprète, rendît hommage à la langue des maîtres du monde (1:
Magistratus verò prisci quantoperè suam populique romani majestatem
retinentes se gesserint, hinc cognosci potest, quòd, inter cætera
obtinendæ gravitatis indicia, illud quoque magnâ cum perseverantiâ
custodiebant, ne Græcis unquam nisi latinè responsa darent. Quin
etiam ipsâ linguæ volubilitate, quâ plurimum valet, excussâ, per
interpretem loqui cogebant; non in urbe tantùm nostrâ, sed etiam in
Græciâ et Asiâ; quò scilicet latinæ vocis honos per omnes gentes
venerabilior diffunderetur. Val. Max. lib. 2, cap. 2.)
Une
loi expresse enjoignait aux Préteurs de ne promulguer qu' en latin
leurs décrets et leurs édits (2: Decreta a prætoribus latinè
interponi debent. L. Decreta D. lib. 42, tit. I De re judicata.).
On
lit dans Strabon (3: Edit. Oxon., liv. 3, p. 202) que, sous la
domination romaine, les Espagnols de la Bétique s' assujettirent
tellement aux mœurs étrangères, qu' ils oublièrent l' idiôme
natal.
Le
même auteur (4) nous apprend que, dès le siècle d' Auguste, une
grande partie des Gaulois avait adopté la langue et les usages des
Romains.
(4)
Ib. lib. 4, p. 258."Les Volcae, dit-il, s' étendent
jusqu' aux bords du Rhône: les Salyes et les Cavari
occupent la rive opposée. Mais le nom de ces derniers a tellement
prévalu sur les noms des autres peuples, qu'on nomme Cavari tous les
barbares leurs voisins, qui ont même cessé d' être barbares: car
ils ont adopté pour la plupart la langue et la façon de vivre des
Romains."
Cette
remarque de Strabon suffirait pour prouver que les autres Gaulois,
qu' il ne regarde pas comme barbares, usaient de la langue latine.
C'est principalement la différence d' idiome qui faisait donner aux
peuples étrangers la dénomination de barbares.
Telle
était la force de l' opinion publique, qu' un empereur, hazardant
devant le sénat le mot de Monopole, emprunté du grec (1), crut
nécessaire de s' excuser. Et cet empereur, c'était Tibère.
(1:
Sermone græco, quamquam aliàs promptus et facilis, non tamen
usquequaque usus est: abstinuitque maximè in senatu; adeò quidem ut
Monopolium nominaturus, priùs veniam postularit quod sibi verbo
peregrino utendum esset: atque etiam in quodam decreto patrum, cum
*gr una recitaretur, commutandam censuit vocem, et pro peregrinâ
nostratem requirendam, si non reperiretur, vel pluribus et per
ambitum verborum rem enuntiandam. Sueton. in Tib. Cap. 71.)
Dans
une autre circonstance, il fit effacer d' un décret du sénat le mot
d' Embleme, et il prescrivit d' employer une périphrase, plutôt que
d' admettre cette expression étrangère.
Par
l' ordre de l' empereur Claude, un gouverneur de la province de
Grèce, personnage très distingué, fut privé de son emploi, et
même du droit de citoyen. Quel était son tort? il ignorait la
langue latine.
Les
Lyciens, coupables de rébellion, avaient député à Rome un de
leurs compatriotes, honoré du titre de citoyen romain. Ce même
prince, interrogeant l' envoyé, et reconnaissant qu' il n' entendait
pas le latin, le dépouilla du droit de cité, alléguant que, pour
être digne de participer aux priviléges des Romains, il était
indispensable de comprendre et de parler leur langue (1: (1) Dio
Cass. lib. 60, edit. Reimar. p. 955).
A
l' époque où Plutarque composait ses ouvrages, il regardait cette
langue comme universelle (2: Plat. Moral. quest. X, edit. Wyttembach,
t. V, p. 112.)
Adoptée
par la province d' Afrique, elle avait entièrement prévalu sur l'
idiôme carthaginois, autrefois seul idiôme des pays où l'
illustre évêque d' Hippone exerçait son pieux ministère (3: Verba
latina didici sine ullo metu atque cruciatu, inter etiam blandimenta
nutricum et joca arridentium et lætitias alludentium. Confess. lib.
I, cap. 14. Quæ linguæ... quarum nostra latina est. De Trinit. lib.
15, c. 10.)
Aussi, dans l' un de ses sermons, il s' explique en
ces termes:
"On
connaît le proverbe punique que je rapporterai en latin,
parce que chacun de vous n' entend pas le punique. Ce vieux proverbe
dit:
Si la peste demande un denier, donne-lui en deux, et qu'
elle s' éloigne (4: Proverbium notum est punicum, quod quidem
latinè vobis dicam, quia punicè non omnes nostis; punicum
enim proverbium est antiquum: Nummum quærit pestilentia, duos illi da, et ducat se.” Sermo 168 de Verb. Apostol.)
L'
usage de n' admettre que la langue latine comme idiôme national
était tellement établi et observé, que, même après la
translation du siége de l' empire, Arcadius et Honorius furent
obligés de rendre une loi expresse, pour permettre aux magistrats de
rédiger leurs jugements en grec ou en latin (5: L. Judices c. de
sentent. et interloc.)
Les
peuples subordonnés à l' autorité de Rome n' avaient parlé d'
abord la langue latine que par nécessité; ils l' étudièrent
bientôt par intérêt et par ambition.
Se
soumettre à l' idiôme, aux usages, à la discipline civile et
militaire des vainqueurs, c'était pour les cités, pour les contrées
entières, un moyen de mériter l' émancipation politique, ou d'
obtenir d' utiles distinctions et des avantages honorables.
L'
action de ce systême conquérant, qui associait des nations vaincues
et opprimées au langage, aux mœurs, et quelquefois aux priviléges
des enfants de la métropole, devenait un véritable bienfait.
Avouons,
à la gloire de Rome, que la civilisation de quelques-uns des peuples
qui avaient été contraints de fléchir sous le joug de la victoire,
fut le noble dédommagement de leur humiliation; et c'est peut-être
la seule fois que de longues et grandes conquêtes ont offert une
compensation des injustices et des malheurs qui les produisent.
En
prescrivant à ces peuples l' usage d' une langue qu' illustraient
des ouvrages où le bon goût et la saine philosophie se trouvent
réunis au mérite d' un beau style, Rome ne leur communiquait pas
seulement l' art d' écrire; elle leur communiquait une faveur plus
précieuse: l' art de penser. Oui, la science qui instruisit le
vaincu à parler la langue des Romains, lui apprit aussi à sentir, à
juger, à penser comme eux.
C'est
sur-tout à la langue latine que l' on peut appliquer la belle pensée
du poëte Rutilius Numatianus, qui disait en célébrant Rome:
Fecisti
patriam diversis gentibus unam (1)...
Urbem
fecisti quod prius orbis erat.
Itiner. lib. I.
(1: Pline le naturaliste avait exprimé la même
pensée:
Sparsa
congregaret imperia, ritusque molliret, et tot populorum discordes
ferasque linguas, sermonis commercio contraheret ad colloquia, et
humanitatem homini daret, breviterque una cunctarum gentium, in toto
orbe, patria fieret. Lib. 3, cap. 5.)
La
carrière du barreau et celle des lettres étaient ouvertes à tous
ceux qui savaient le latin; l' une et l' autre carrière conduisait
aux premiers emplois et aux plus grands honneurs.
Bientôt
l' Espagne, la Gaule transalpine et la Gaule cisalpine, fournirent au
sénat, au gouvernement, aux armées, à la littérature, des
personnages illustres, dont les talents contribuèrent à soutenir la
gloire et la renommée de la patrie adoptive.
Malgré
les ravages des hommes et du temps, nous possédons les ouvrages
précieux d' un grand nombre d' écrivains nés dans ces contrées
qui, avant d' être soumises aux Romains, n' avaient que des idiômes
dont il ne nous est parvenu aucun monument; c'est à la langue des
vainqueurs que ces écrivains furent redevables de leurs succès, et
peut-être même de leurs talents.
Parmi
les auteurs qui, depuis les conquêtes de Rome, occupèrent un rang
distingué dans la littérature latine, l' Espagne s' honore d' avoir
produit les deux Sénèque, Lucain, Pomponius Mela, Columelle,
Martial, Silius Italicus, Hygin, etc. Et nous-mêmes avons quelque
plaisir à nous rappeler que Cornelius Gallus, Trogue-Pompée,
Pétrone, Lactance, Ausone, etc., naquirent dans les Gaules.
Cependant
la plupart des institutions qui avaient préparé et favorisé l'
envahissement du monde par les Romains, n' existaient plus. Celles
qui existaient encore avaient perdu leur active influence. Faut-il s'
en étonner? Elles n' étaient plus en rapport avec le gouvernement
et avec les mœurs.
Cette
sagesse profonde et circonspecte, qui jadis était à-la-fois le
secret et la force de l' État, cette constance habile, cette
politique invariable, qui, pendant plusieurs siècles, dirigèrent un
sénat dont les membres se renouvelaient, et dont l' esprit restait
toujours le même, pouvaient-elles se retrouver dans des princes
chargés, à eux seuls, d' une grande puissance, et incapables d' en
supporter le fardeau? Princes souvent malheureux, et quelquefois
méprisables, ils étaient réduits à se choisir des associés, et
même à les accepter. Ces monarques précaires affaiblissaient l'
autorité en la partageant; et, presque toujours, ce partage ne
faisait que mêler les calamités de la guerre civile aux malheurs de
la guerre étrangère.
D'
ailleurs, le génie qui élève les empires par les hardiesses de l'
ambition et par les infortunes de ses victimes, est si différent de
celui qui maintient les états par la sagesse du gouvernement, et par
la prospérité des citoyens!
Cet
empire romain, constamment agrandi en attaquant les peuples et en les
rejetant au loin, était enfin réduit à se défendre contre le
reflux de ces mêmes peuples, qui de toutes parts envahissaient et
franchissaient impunément ses frontières trop vastes, trop
éloignées, trop dégarnies.
La
translation du siége de l' empire dans une ville de Thrace ne
livra-t-elle pas l' Occident aux invasions des hordes conquérantes,
lorsqu' elle dépeupla Rome de nombreux citoyens qui, par leurs
talents, leur rang, et leur ambition, eussent conservé plus entier
le sentiment ou du moins le noble souvenir de la grandeur romaine?
Les
habitants qui furent laissés dans les murs de l' antique cité,
déshéritée alors de ses titres de capitale du monde et de ville
éternelle, ne conservèrent pas longtemps cet esprit public, cet
orgueil national, qui par fois tiennent lieu de vertu politique dans
les pays où cette vertu n' est pas inspirée par de sages et
heureuses institutions.
Les
nombreux débordements des nations, qui, tour-à-tour et de
différents côtés, inondèrent, ravagèrent plusieurs contrées de
l' Europe, menaçaient la langue latine d' être ensevelie sous les
débris de l' empire romain.
Mais,
depuis moins d' un siècle, une révolution extraordinaire qui eut
bientôt la plus grande influence sur les destinées des peuples et
des rois, une révolution qui donna une direction nouvelle aux
lettres, aux sciences et aux arts, préparait à la langue latine les
moyens de maintenir sa durée et d' accroître son autorité.
Le
même empereur qui conçut avec tant d' audace, et exécuta avec tant
de promptitude le projet de changer le siége de l' empire,
Constantin, arborant la croix, l' avait élevée avec lui sur le
trône du monde.
Peu-à-peu
le christianisme s' affermit; enfin il domina: et Rome, qui avait
perdu l' avantage d' être la métropole de l' empire, parvint, par
l' accroissement de sa puissance spirituelle, à l' avantage non
moins précieux de rester la métropole de la religion.
Tandis
que la langue grecque se dégradait à la cour des empereurs d'
Orient, la langue latine, idiôme de la cour des papes, s' associant
aux illustres succès de l' église catholique, devint l' interprète
des décrets du ciel, et une seconde fois elle eut le droit de s'
appeler universelle.
Ici
se présente un phénomène historique, qui peut-être pas été
assez remarqué.
A
cette époque où la civilisation de tant de pays divers était sans
cesse attaquée et presque détruite par les invasions des nations
étrangères, la providence vint au secours des vaincus et sur-tout
des vainqueurs; un nouveau genre de sociabilité remplaça le
bienfait de la politique romaine: la religion chrétienne maintint ou
rétablit la civilisation sur des principes invariables, sacrés, et
indépendants de la politique de l' homme.
Ce
mouvement général des esprits, qui, à diverses époques, forme et
entretient entre les peuples une communication irrésistible de
pensées et de sentiments, cette impulsion morale, qui, au XIIe
siècle, produisit les croisades; au XIIIe, favorisa dans une grande
partie de l' Europe
l'
établissement du droit municipal; au XVIe, propagea les sectes
religieuses; et qui, au siècle dernier (N. E. XVIII), a suscité et
répandu l' esprit philosophique; ce desir d' améliorations, cet
enthousiasme d' opinions et d' espérances, favorisaient, depuis
quelque temps, les progrès de la religion chrétienne.
Quel
bonheur pour les peuples, lorsque des conquérants effrénés s'
humilièrent devant les pontifes d' une religion qui leur révélait
un maître, à eux qui semblaient nés pour n' en connaître aucun,
et un maître d' autant plus craint et vénéré, qu' il était
toujours présent et toujours invisible!
Puissants
médiateurs entre les peuples et les rois, souvent les évêques
méritèrent le droit d' exercer leur auguste et honorable mission,
et de dire impunément aux vainqueurs des nations, comme saint Remi à
Clovis: Abaisse, fier Sicambre, abaisse ton col docile sous le joug
religieux (1: Mitis depone colla, Sicamber; adora quod incendisti,
incende quod adorasti. Greg. Tur. lib. II (où 11), c. 31).
Les
maximes d' indulgence, de générosité, de bienveillance, que
proclame et qu' exige l' évangile, inspirèrent quelquefois aux
dominateurs des peuples, aux puissants, aux riches du siècle, une
juste modération, et même des égards pour des hommes qui, dans l'
ordre de la religion, redevenaient leurs égaux.
Les
lois du christianisme protégeaient hautement la liberté civile;
souvent les seigneurs laïques et les simples citoyens
affranchirent leurs esclaves, dans le seul dessein de satisfaire aux
devoirs de la charité chrétienne.
Les
formules Angevines contiennent le modèle de l' acte de liberté, qui
commence par ces mots:
"Par
respect pour la divinité, et afin d' obtenir le salut éternel de
mon ame, je te déclare libre.” (1: Noveris te pro divinitatis
intuitu et animæ meæ remedium vel æterna retributione ad jucum
servitudinis tibi absolvemus.)
Dans
toutes les autres formules qui nous restent, ce sont encore des
sentiments religieux qui motivent ces actes de libéralité.
(2:
Recogitans pro Dei intuitu et pro animæ meæ redemptione. Formul.
Bignon. I.
Præmium in futuro dominum sibi tribuere confidet.
Formul. Lindenbrog. 91, 92, 94, 96.
Pro
remissione peccatorum meorum. Ib. 93.
Ut
aliquantulum de peccatis nostris minuere mereamur. Ib. 95. )
Un
titre ancien offre ces expressions remarquables:
“Puisque
le fils de Dieu est venu nous affranchir de l' esclavage du péché,
nous devons nous-mêmes affranchir les hommes de la servitude. Il
nous a dit: délivrez, et vous serez délivrés; et à ses apôtres:
vous êtes tous frères. Or, si nous le sommes, devons-nous retenir
nos frères sous le joug de la servitude (3).”
(3:
In nomine Dei patris omnipotentis ejusque filii unigeniti qui ad hoc
incarnari voluit, ut eos qui sub peccati jugo detinebantur, in
libertatem filiorum adoptaret. Quatenus et ipse nobis nostra peccata
relaxare dignetur, sub nostræ jugo servitutis homines depressos
relaxare decernimus. Ipse etenim dixit: dimittite et dimittetur
vobis; et apostolis: omnes enim fratres estis. Ergo si fratres sumus,
nullum ex fratribus, quasi ex debito., ad servitium cogere debemus,
et iterum ipsa veritas testatur: Ne vocemini magistri... unde... hos
servos et ancillas... ab omni jugo servitutis... absolvimus.
Archives
de Conques. Mém. pour servir à l' hist. du Rouergue, par Bosc, t.
3, p. 183.)
L'
Occident avait été envahi par différentes nations (1); mais, à
travers le choc des opinions, des mœurs, des intérêts, et des vœux
opposés, l' autorité de la religion assujettissait les chefs et les
citoyens à l' usage de la langue latine.
(1: Vers 412, les
Visigoths, partis des environs de Ravenne, traversant et occupant l'
Italie et le midi des Gaules, parviennent et s' établissent jusque
dans le nord de l' Espagne.
Avant
420, les Bourguignons, entrés par l' est dans les Gaules, s'
emparent du pays auquel leur nom est resté, et s' étendent jusques
à Lyon et à Vienne; et dix ans après, les Francs arrivent au nord
des Gaules, sous la conduite de Clodion.)
Heureux lien de
communication entre les nouveaux et les anciens habitants rapprochés
par la civilisation religieuse, cette langue devint celle des
gouvernements, parce qu' elle était l' idiôme de la cour papale, de
la théologie, du culte, et des cloîtres.
Mais,
dans ces circonstances difficiles, qui établissaient entre les
vainqueurs et les vaincus des relations indispensables, les uns et
les autres avaient-ils le moyen de connaître et d' observer les
règles compliquées du langage qui leur devenait commun? Non, sans
doute.
Il n' était plus ce temps où des écoles publiques,
ouvertes et entretenues à grands frais dans les principales villes
de l' Occident, transmettant le goût et la pureté des langues et
des littératures grecques et latines, répandaient l' instruction et
l' émulation dans toutes les classes de la société.
Le
mélange de ces peuples qui renonçaient à leur idiôme grossier, et
adoptaient l' idiôme des vaincus, par la nécessité d' entretenir
les rapports religieux, civils et domestiques, ne pouvait qu' être
funeste à la langue latine. La décadence fut rapide.
Du
moins si les personnages puissants, qui exerçaient la suprématie
spirituelle et temporelle, avaient consacré leurs moyens de
persuasion et d' autorité à maintenir la pureté sévère du
langage! Mais souvent ces personnages même donnèrent les exemples
de la négligence et de la violation des règles.
J'
en pourrais rapporter des preuves nombreuses; je me borne à l'
époque du pontificat d' un pape justement célèbre, que l' église
a mis au rang des saints, et à qui l' histoire a conservé le nom de Grand.
Grégoire
Ier occupait la chaire de saint Pierre à la fin du VIe
siècle; ce pontife affectait un suprême mépris pour la grammaire
latine; voici comment il s' en explique dans une de ses lettres (1):
(1)
Epistolæ tenor enunciat: non metacismi collisionem fugio, non
barbarismi confusionem devito; hiatus motusque etiam et præpositionum
casus servare contemno, quia indignum vehementer existimo ut verba
cœlestis oraculi restringam sub regulis Donati; neque enim hæc ab
ullis interpretibus in scripturæ sanctæ auctoritate servata sunt.
S. Gregorii papæ vita, auctore Johanne Diacono, lib. 4, præf. ad
lib. moral. deut. 16.
Je
n' évite point les barbarismes; je dédaigne d' observer le régime
des prépositions, etc., parce que je regarde comme une chose
indigne, de soumettre les paroles de l' oracle céleste aux règles
de Donat (1); et jamais aucun interprète de l' écriture sainte ne
les a respectées."
(1: A la mort du pape Clément IX, on
désignait le cardinal Bona pour son successeur; ce qui donna lieu de
dire, papa bona sarebbe solecismo.
Le père Daugières, jésuite,
réfuta cette plaisanterie par les vers suivants:
Grammaticæ
leges plerumque ecclesia spernit;
Fortè
erit ut liceat dicere papa Bona;
Vana
solœcismi ne te conturbet imago:
Esset
papa bonus, si Bona papa foret.)
Cet
illustre pontife apprenant que Didier, évêque de Vienne, donnait
des leçons de l' art connu alors sous le nom de grammaire, lui en
fit de vifs reproches: (2: Hoc pervenit ad nos, quod sine verecundiâ
memorare non possumus, fraternitatem tuam grammaticam quibusdam
exponere. Quam rem ita molestè suscepimus, ac sumus vehementius
aspernati, ut ea quæ prius dicta fuerant in gemitum et tristitiam
verteremus. Quia in uno se ore cum Jovis laudibus Christi laudes non
capiunt; et quam grave nefandumque sit canere quod nec laïco
religioso conveniat... Quanto execrabile est hoc de sacerdote ipse
considera... Nec vos nugis et sæcularibus enarrari... Litteris
studere constiterit...
Ep. 54, lib. 11 S. Gregorii registri
epistolarum.)
"Nous
ne pouvons, écrivait-il, rappeler sans honte que votre fraternité
explique la grammaire à quelques personnes; c'est ce que nous avons
appris avec chagrin, et fortement blâme... Nous en avons gémi. Non,
la même bouche ne peut exprimer les louanges de Jupiter et celles du
Christ. Considérez combien, pour un prêtre, il est horrible et
criminel d' expliquer en public des livres dont un laïque pieux ne
devrait pas se permettre la lecture. Ne vous appliquez donc plus aux
passe-temps et aux lettres du siècle.”
Le
dédain pour la littérature latine, qu' exaltait encore la haine
pour le paganisme, porta Grégoire-le-Grand à faire brûler tous les
exemplaires de Tite-Live qu' il put découvrir. Saint Antonin raconte
cette action comme honorable à la mémoire du pontife romain (1: De
Gregorio magno dicit prædictus dominus Johannes dominus cardinalis
quod omnes libros quos potuit habere Titi Livii comburi fecit, quare
ibi multa narrantur de superstitionibus idolorum.
S.
Antonin. Summ. p. 4, tit. 2, cap. 4, §. 3.)
Ce
zèle, trop ardent sans doute, l' entraîna dans une erreur que j'
appellerai celle de son siècle; mais quel nom donner au vœu du
professeur de Louvain, Jean Hessels, qui s' écrie à ce sujet:
"Heureux, si Dieu envoyait beaucoup de Grégoires!" (2: O
utinam multos Gregorios mitteret Dominus! Verè etenim magnus
Gregorius omnes libros quos potuit habere Titi Livii comburi jussit,
quia plurima in eis continentur de superstitionibus idolorum. Antiqua
quoque gentilium ædificia, quæcunque potuit, subvertit, ne essent
reliquiæ et memoria idolorum, sicut etiam dominus Israelitis sæpiùs
mandavit.
Joan.
Hessels. Brevis et catholica decal. exposit., p. 68.)
Dirai-je
que sous le pontificat de Zacharie, il se trouva tel prêtre qui ne
savait pas assez de latin pour exprimer convenablement la formule
essentielle au sacrement du baptême? Ce pape eut à prononcer sur la
validité de ce sacrement conféré en ces termes:
“Ego
te baptiso in nomine patria et filia et spiritûs
sancti."
Saint
Boniface, évêque de Mayence, avait ordonné de baptiser de nouveau;
le pape décida que le baptême était valable, si les paroles
sacramentelles avaient été mal prononcées (1), par ignorance de la
langue, et non par esprit d' hérésie.
(1: Retulerunt quippe quod
fuerit in eâdem provinciâ sacerdos qui linguam latinam penitus
ignorabat, et dum baptisaret, nesciens latini eloquii, infringens
linguam, diceret: Baptiso te in nomine patria et filia
et spiritus sancti; ac per hoc tua reverenda fraternitas consideravit
rebaptisare.
Epist.
134 Zachar. rever. et sanct. frat. Bonifacio coepisc.)
Toutefois
la décadence de l' idiôme latin eût été moins prompte et moins
générale, si, dans les divers pays de la chrétienté, les princes,
les grands, et les officiers civils avaient imité et répandu le
style de la cour de Rome et de la plupart des chefs ecclésiastiques.
Pendant
ces siècles d' ignorance et de barbarie, les décrets des conciles,
les bulles et les lettres des papes, les écrits de quelques évêques,
sont remarquables, si non par l' élégance, du moins par la
correction. Mais quelle différence dans les chartes ou diplômes des
rois, des comtes, des seigneurs, et dans les actes des magistrats
laïques, etc. etc.!
Dès
le sixième siècle, la langue latine était tombée dans un état de
corruption peut-être irréparable. On en jugera par les détails
suivants:
Indépendamment
de la difficulté que présentent des mots barbares qu'on avait été
obligé de latiniser, il s' était établi une transmutation des
voyelles, presque toujours employées, les unes à la place des
autres (1).
E au lieu d' I.
I au lieu d' E.
O au
lieu d' U.
U au lieu d' O.
(1:
E pour I. I pour
E. O pour U. U pour
O.
Basileca Plinius Volomus Negutiante
Pagenam Ricto
tramite Locrari Nuscetur
Facultatebus Possedire Aliquantolum Auturetate
Civetatis Quatinus Pecoliari Respunsis
Magnetudo Rigni
nostri Noncopante Nus
Domebus Debirint Postolator Victuriae
Nomene Vinüs Miracola Spunsarum
Marteris Climenciae Volontatem Tempure
Oppedum Mercide Jobemus Denuscetur.
Charte
de Clotaire II.
Charte de Dagobert I, de Clotaire II.
Charte
de Dagobert I, de Clovis II.
Charte de Clovis II, de Clotaire
II.
De pareilles fautes se rencontrent dans le petit nombre de
monuments privés que l' Italie possède de ces temps anciens. Je me
borne aux preuves que fournissent l' ouvrage de Maffei, intitulé:
historia diplomatica, et celui de Marini, intitulé: papiri
diplomatici.
Intrensicus Vindite Inordinatom Territuriis
Habeta Habis Eront Fedejussure
Vindetores Valinte Nomeratos Cumparatore
Possedetur Mercidis Jogale Neguciature
Les
pièces d' où ces exemples ont été tirés portent la date du VIe
siècle.
Si
l' Espagne avait aussi conservé des monuments particuliers de cette
époque, (N. E. algún papelico quemaron los franceses en las guerras) nous y trouverions de semblables transmutations de voyelles.
J' en citerai pour preuve le style d' Alvar, évêque de Cordoue,
qui écrivait vers 850.
Flórez, España Sagrada, t. 11 (où 2), p. 56, relève dans cet
auteur:
Intellege. Respondis Infola Rustra.
Baselica.
Fulgit Fateator
En
ouvrant au hasard les recueils qui contiennent les diplômes,
chartes, et écrits de cette époque, nous sommes étonnés de ces
changements continuels, qui altéraient et corrompaient la langue
latine d' autant plus rapidement, qu' ils n' étaient soumis à
aucune règle d' analogie, ni même à aucun principe de convention.
Ce
qui augmentait encore la difficulté de comprendre et de parler cette
langue, c'était la violation presque continuelle des différentes
règles de la grammaire.
Les
prépositions étaient employées très souvent avec un régime
arbitraire. (1: J' ai choisi dans le premier volume du recueil
diplomata chart. ad res francicas spectantia, contenant les pièces
de l' époque de la première race de nos rois, les exemples qui n'
ont point d' indication.
Ceux
qui sont marqués Ital. ont été pris dans l' Istor. Dipl. et dans
les Papiri Dipl. précédemment cités.
Et
ceux qui sont marqués Esp. ont été pris dans l' España Sagrada et
dans les Memorias de la real academia de la historia.
A
me... autores et pro autores. Ital.
A titulum dotalem et
tutellariom alienas. Ital.
A vos. Esp.
Ab hodiernum die.
Ab
aerem alienum alienas esse. Ital.
Ab originem... ab eumdem
emptorem. Ital.
Ab eumdem Salomonem. Esp.
Absque
praejudicium.
Absque repetitionem.
Absque ullo dolo aut vim,
circumventionem.
Ad legetema aetati pervenire.
Ad die
presente.
Ad fisco nostro.
Ad
nos faciendi tutorem. Ital.
Ad instauratione. Ital.
Ad ipso
rio. Esp.
Ad sancta Maria. Esp.
Ad isto presente igne.
Esp.
Adversus inlustris Deo sacrata
Agantrude
filia.
apostolico viro.
Adversus sancta praedicta
ecclesia.
Ante bonis hominibus.
Ante venerabile vir.
Ante
balneo et orto. Ital.
Ante sancto Stephano. Esp.
Apud ipso
Chrotchario.
Circa animus meus.
Circa ipsa basilica... vel
nostro palatio.
Contra parentis meus.
Contra hoc voluntate
meam.
Contra cujuslibet hominum.
Contra justicia. Ital.
Contra
tribus. Esp.
Contra Hoste barbaro. Esp.
Contra ipso
Pseudo-propheta. Esp.
Cum omnes res ad se pertinentes.
Cum
sequentes tantus.
Cum easdem. Ital.
Cum censum. Ital.
Cum
pectus inscium. Esp.
Cum judices suos. Esp.
De ipsos
teloneos vel navigeos portaticos.
De quam praefatam portionem.
De
quas … dictas sex uncias. Ital.
De quod... Esp.
De ipsam.
Esp.
De humiles vestros. Esp.
Erga nostris partibus.
Ex
omnia medietatem.
Ex fundi. Ital.
Ex successionem. Ital.
Ex
ipsam. Esp.
Ex fidelium nostrorum. Esp.
Inter varacione et
alio rio.
Inter ipso Friulso suisque heredebus.
In
turmentas fui.
In dei nomen.
In duorum fundorum. Ital.
In
urbem Toletanam facta constitutio. Esp.
Infra istis
terminis.
Infra pago parisiaco.
Infra Confinio. Esp.
Infra
valle. Esp.
Intra comitatu nostro. Esp.
Juxta villa
Fornolus.
Per locis descriptis et designatis.
Per mandato
suo.
Per quolibet contractu. Ital.
Per toto orbe. Esp.
Per
arte. Esp.
Post temporibus.
Post roboratione testium.
Ital.
Pro panem.
Pro omnis causationis suas.
Pro supradictas
sex uncias. Ital.
Pro solemnem traditionem. Ital.
Pro mercedem
animae meae. Esp.
Pro unionem. Esp.
Pro vos sacrificium Deo
offerant. Esp.
Propter amorem Dei et vita aeterna.
Secundum
legum ordine. Ital.
Sine praemium.
Sine ullius
inquietudinis.
Sine cujuslibet judicis auctoritatem. Ital.
Sine
rixas Esp. ord. D' Alboacem.
Sub duplariae rei. Ital.
Usque
rio.
Usque memorato loco.
Versus villa Fornulus.
Versus
palude.
On violait grossièrement la règle qui soumet l'
adjectif à prendre le nombre, le genre, et le cas du substantif
auquel il se rapporte (1).
Quelquefois le sujet n' était pas mis
au nominatif (2).
(1: Je fais la même observation qu' à la note
précédente:
Cum
domibus et vineis ad se pertinentes.
Seu
reliqua facultatem vel villas illas quod nuscuntur pervenisse.
Vinea
quem colit.
Villas
illas quod.
Per
alio latus.
Cum
omni integritate vel soliditate sua in se aspicientem et pertinentem.
Pro
benevolentiâ qui erga vos habeo.
Pretium...
adnumeratus et traditus vidi. Ital.
Casa
qui appellatur. Ital.
De
res quod. Ital.
In
omnes mansionarios essentibus et introeuntibus. Ital.
De
alios testes cujus signacula. Ital.
Tu
vero exempla illud dirige. Esp.
Si
potuisset habere talem testimonia qui. Esp.
Ad
ipso heresiarcham Albini magistro. Esp.
Ipsas monachas vel earum
abbate debeant possidere.
Dum
illas ibidem... regulariter vivere videntur.
Quod
si suprascriptas quatuor uncias inquietati fuerint vel evictæ. Ital.
Quas vero sex uncias distractas sunt. Ital.
(2)
Les exemples suivants sont encore puisés dans les mêmes ouvrages:
Si
aliquas causas adversus istud monasterium ortas fuerint.
Per
illos mansos unde operas carrarias exeunt.
On
n' observait pas plus exactement les régimes des verbes et des noms
(1).
Il
en était de même de la règle qui exige l' ablatif, soit comme
absolu, soit comme désignant le temps et le lieu (2).
(1)
Les mêmes ouvrages fournissent encore ces exemples.
Dono
tibi canna argentea valente plus minus solidos XXV.
Dono
tibi caneo argenteo.
Dedit... porcione sua de villa... et alio
locello.
Acceperunt tertia tabula quod est.
Liceat ipso abbate
Daumero et successores ejus atque congregatione eorum.
Ubi nepte
mea instituemus abbatissam.
Licentiam nostram habeant
faciendum.
Signaculo manus nostris noscimur adfirmase.
Pro
redemptione animas nostras.
Signum Bartelmo viro... testis.
Rigni
domno Clodoveo.
Ut praeceptio glorissimo domno Dagoberto...
edocet.
Valente solido uno. Ital.
Me tamen cognoscite ingressus
fuisse. Esp.
Hanc carta elemosinaria mandavi scribere. Esp.
Ego
eam teneo ipsa villa. Esp.
Viderunt Aylone amita Witiscli ipsa
villa settereto tenente et dominante. Esp.
Habeat
potestatem hoc peragendum. Esp.
Eleemosina
domini nostri Ludovici et proles ejus. Esp.
Bona
intentione monstrant mihi e faciunt Saracenis bona acolhenza.
Esp.
Ord. d' Alboacem.
(2)
Même observation que les précédentes.
Consignamus
tibi... omnes res nostras... illas exceptas quas ecclesiæ legavimus
et illas quas...
Unde
et ipsas confirmationes relectas et percursas, inventum est...
Datum
mensis aprilis dies octo, annum secundum regni nostri.
Datum
Morlacas, mensis martius dies decem.
Me
præsentem subscribsit. Ital.
Spontanea
voluntates nullus penitus quogentem aut suadentem... donamus. Ital.
Excepto
manicipiis. Ital.
Teste
Domnus. Esp.
Regnante...
in episcopatu domnus Ferriolus. Esp.
Mais
qu' est-il nécessaire d' accumuler les preuves de la dégradation du
style alors employé par la plupart des personnes qui écrivaient en
latin? Les auteurs contemporains l' ont généralement attestée; les
auteurs postérieurs l' ont unanimement reconnue.
Grégoire
de tours, dans la préface de son ouvrage De la gloire des
confesseurs, craint qu'on ne reproche à sa diction ces sortes de
fautes, et qu'on ne lui dise: “Trop souvent vous mettez le féminin
à la place du masculin, le neutre à la place du féminin, et le
masculin à celle du neutre. Intervertissant le régime des
prépositions, vous faites gouverner l' accusatif à celles qui
gouvernent l' ablatif, ou vous substituez l' ablatif à l'
accusatif.” (1: Sæpius pro masculinis foeminea, pro fœminis
neutra, et pro neutris masculina commutas; ipsasque præpositiones
loco debito plerumque non locas, nam pro ablativis accusativa et
rursum pro accusativis ablativa ponis.)
Avons-nous
à prononcer sur la falsification des titres de cette époque
reculée! La transmutation des voyelles, la rudesse des locutions, la
violation des règles grammaticales, la rouille du style, deviennent
autant de présomptions et d' arguments en faveur de la sincérité
des actes
(1: Diplomatum barbaries eorumdem sinceritatem prodit.
Fontanini; Vindic. antiq. diplomat. lib. I, cap. 10.)
Le
célèbre Jérôme Bignon, publiant la première édition des
formules de Marculfe, avait, par d' indiscrètes corrections, altéré
la barbarie du manuscrit: on a su gré au docte Baluze d' avoir
rétabli les fautes du texte original.
Un
savant espagnol, s' expliquant sur les écrits d' Élipand, archevêque de Tolède, qui vivait dans le VIII° siècle, reconnaît
que, depuis long-temps, on faisait un emploi tout-à-fait arbitraire
des diverses désinences qu' imposent à chaque cas les règles des
déclinaisons latines (2: Optimè scis Elipandi tempore latinam linguam in vernaculam quâ nunc Hispani utimur, in
magnâ sui parte, degenerasse; nomina latina casus habentia eos
amittebant. Greg. Majansius (N. E. Gregorio Mayans y Siscar) ad D.
Frobenium.)
Dans
une telle dégradation du langage, comment pouvait-on désigner et
reconnaître les rapports grammaticaux que les noms doivent
nécessairement avoir entre eux? Comment distinguer les sujets des
régimes, et les régimes directs des régimes indirects?
Cet
instinct habile et persévérant qui, lors de la formation des
langues, conduisit à tant d' heureux résultats, employa encore son
étonnante industrie.
Pour
exprimer les rapports des noms, on eut d' abord recours à l' emploi
des prépositions De et ad.
Au
lieu du génitif, qu'on ne savait plus indiquer par la désinence du
cas latin, on employait la préposition DE; au lieu du datif, la
préposition AD; et, à la faveur de ces signes, on donnait le plus
souvent des désinences arbitraires aux noms qu' ils précédaient.
Quelles
que fussent ces désinences, la préposition DE faisait reconnaître
un rapport, une fonction de génitif (1).
Et
la préposition AD faisait reconnaître un rapport, une fonction de
datif (2).
(1)
Exemples de l' emploi de la préposition DE.
Partem
meam DE prato... Medietas DE terra... In concambio DE homene.
Episcopos DE regna nostra, tam DE Niuster quam DE Burgundia...
Mercatum DE omnes negociantes... Pagenses DE alias civitates... Cum
pagena DE silva DE foreste nostra... Jugera De terra aratoria...
Terminus ergo DE nostra donatione... Aliquid de res proprius juris
nostri... Quarrada DE melle... Alecus DE suis propinquis. Diplom.
etc. ad res francicas spectantia.
Donationis
DE omnia immobilia prædia... De quam portionem reteneo mihi
usufructu... Breve DE diversis species... Notitia DE res... De quas
sex uncias principales vendetor usufructum retenuit... De donatione
memoriam reducere curavi... Tertiam portionem DE successione...
Voluntatem DE faciendo Flaviano speciali tutorem... Ital.
Decimas
DE omnes adjacentias et territorio suo et fines... Spelunca De ipsa
valle... Per beneficio DE seniore meo... Congregatio DE ipso
monasterio. Esp.
(2) Exemples de l' emploi de la préposition
AD:
AD
clero vel pauperes incommoda generetur... Valentem AD æstimationem
solidos C... Præceptio AD viro illustri data... AD parte conjuge
suæ... Quidquid AD ipso monasteriolo, tam AD ipso abbate... Quam et
AD Deo, fuit aut fuerit additum... Diplom., etc. ad res francicas
spectantia.
Ei
AD quem ea res erit... Præceptorum AD me datorum... AD omnia
consensi... qui tenet stationem AD domo... AD libertos meos quam ad
alios vel AD pauperes dandum deliberavi. Ital.
AD
domum S. Saturnini cænobii dono... Dedit AD ipso nepote... Dedit eam
AD beneficio AD Isarno... facere donationem AD fratres et servos Dei.
Esp.
L'
emploi auxiliaire des prépositions DE et AD est très fréquent dans
les chartes, diplômes, et autres actes des VIe, VIIe, VIIIe, IXe, et
Xe siècles. Il ajoute un nouveau caractère de dégradation à la
langue latine, déja méconnaissable par la violation de la plupart
des règles grammaticales.
Les
rédacteurs de ces écrits s' étaient nécessairement préparés à
l' exercice de leurs fonctions par une étude plus ou moins
approfondie de ces règles; et tel est leur style! Quelle idée nous
ferons-nous du langage des personnes illettrées? Ai-je besoin de
prouver que ce langage ne pouvait être qu' un jargon barbare et
inintelligible? Doutera-t-on que sa barbarie même n' ait forcé ceux
qui le parlaient à chercher des moyens moins compliqués, plus
faciles, plus clairs, pour exprimer leurs sentiments, et communiquer
leurs pensées?
L'
évidence morale supplée ici à l' absence des preuves matérielles.
Lorsque,
par l' effet de toutes ces innovations qui avaient détruit les
anciennes règles, la désinence des différents cas fut devenue
presque arbitraire, et que le sens attaché aux noms ne dépendit
plus de la différence du signe qui les terminait, il n' y eut qu' un
pas à faire pour donner à cette licence grammaticale une sorte de
régularité.
Ces
diverses terminaisons n' étant plus indispensables pour l'
intelligence du sens, il n' y avait qu' à les supprimer, et c'est ce
qui fut exécuté adroitement. On retrancha des substantifs latins
toutes leurs désinences caractéristiques, et il ne fut plus
nécessaire de connaître, ni d' observer les règles des
déclinaisons.
Cette
opération qui rendait le substantif et l' adjectif indéclinables
pour les cas, s' établit et se maintint sur les principes d' une
analogie constante et invariable.
Formation
des substantifs.
Je
place au premier rang des substantifs de la nouvelle langue, ceux qui
furent formés de l' accusatif latin, en supprimant sa désinence
caractéristique.
Abbat em Generositat em Obscuritat em
Accident em Gent em Occident em
Art em Gland em Parent em
Benignitat em Habilitat em Pietat em
Bov em Habitant em Part em
Caritat em Immensitat em Pont em
Carn em Infant em Qualitat em
Cohort em Instant em Rapiditat em
Deitat em Lact em Salut em
Dot em Libertat em Sanctitat em
Duc em Majestat em Serpent em
Elephant em Mont em Sort em
Aeternitat em Mort em Trinitat em
Facultat em Nativitat em Torrent em
Flor em Nepot em Utilitat em
Font em Niv em Veritat em
Fraud em Noct em Virtut em
(1:
Je crois utile d' ajouter à ce tableau les substantifs suivants,
formés également d' un cas latin, autre que le nominatif qui est en
AS, ENS, ONS: Activitat, Ambiguitat, Assiduitat, Captivitat,
Adolescent, Amenitat, Austeritat, Castitat, Adversitat, Antiquitat,
Aviditat, Celebritat, Affinitat, Ariditat, Brutalitat, Celeritat,
Comandita, Humidifica, Necessitat, Singularitat, Conformitat,
Immobilitat, Nuditat, Sobrietat, Continent, Immortalitat, Nullitat,
Societat, Credulitat, Impartialitat, Orient, Solemnitat, Curiositat,
Importunitat, Opportunitat, Soliditat, Dent, Impossibilitat,
Paternitat, Stabilitat, Dexteritat, Impunitat, Perpetuitat,
Sterilitat, Difficultat, Incapacitat, Perversitat, Stupiditat,
Difformitat, Incivilitat, Pluralitat, Suavitat, Dignitat,
Incommoditat, Ponent, Subtilitat, Diversitat, Incredibilitat,
Popularitat, Surditat, Divinitat, Indignitat, Possibilitat,
Temeritat, Docilitat, Indocilitat, Posteritat, Timiditat, Enormitat,
Infinitat, Prioritat, Tranquillitat, Aequitat, Infirmitat, Probitat,
Trident, Extremitat, Ingenuitat, Prodigalitat, Unanimitat, Facilitat,
Inhumanitat, Proprietat, Unitat, Falsitat, Iniquitat, Proximitat,
Universalitat, Familiaritat, Integritat, Pubertat, Universitat,
Fecunditat, Inutilitat, Publicitat, Urbanitat, Felicitat,
Invisibilitat, Pudicitat, Validitat, Ferocitat, Irregularitat,
Quantitat, Vanitat, Fertilitat, Latinitat, Quotitat, Velocitat,
Fidelitat, Legalitat, Regularitat, Venalitat, Fragilitat,
Liberalitat, Rigiditat, Veracitat, Fraternitat, Loquacitat,
Rusticitat, Viduitat, Frugalitat, Majoritat, Sagacitat, Vivacitat,
Front, Malignitat, Salubritat, Voluntat, Generalitat, Maternitat,
Sanctitat, Voluptat, Hereditat, Maturitat, Securitat, Voracitat,
Hilaritat, Mediocritat, Serenitat, Hospitalitat, Minoritat,
Severitat, Hostilitat, Moralitat, Simplicitat, Humanitat, Mortalitat,
Sinceritat, etc. etc.)
Avec
les substantifs empruntés à la langue latine par la suppression de
la désinence des accusatifs, il faut comprendre aussi ceux que la
nouvelle langue dériva des noms latins terminés en IO (1), dont l'
accusatif ION EM, quittant la finale EM, a fourni tant de noms en
ION.
(1: Et même quelques-uns en O, tels que aquilon em, capon
em, centon em, triton em, baron em, carbon em, salmon em, etc.
etc.
Je ne rapporterai point les substantifs ainsi formés.
Depuis Abdication em jusqu' à Vocation em tous ont été soumis
à la même règle d' analogie.
Après
cette première classe de substantifs, je placerai ceux qui ont été
vraisemblablement formés en retranchant la désinence de l'
accusatif ou du nominatif, l' une et l' autre suppression offrant le
même résultat.
Aur um, instrument um, riv us, ban nus, joc us,
sac cus, chor us, lup us, tect um, dol us, mur us, us us, exil ium,
nas us, vers us, fraen um, odorat us, Zephyr us, gaud ium, paradis
us, hom o, quart um, etc. etc. (2: Le tableau suivant pourrait
contenir beaucoup plus d' exemples:
Abus
us, an us, brach ium, cerv us, ablativ us, appetit us, camp us, clav
is, accent us, apparat us, canal is, col lum, acces sus, april is,
can is, coel um, accusativ us, aquaeduct us, candidat us, consulat
us, advocat us, arc us, cant us, corn u, adversari us, argent um,
capellan us, crin is, agnel lus, argument um, captiv us, damn um,
aliment um, asyl um, castel lum, dativ us, amic us, basilic us, cas
us, deces sus, annel lus, benefici um, cens us, decret um, delict um,
inventari um, pan is, sanctuari um, detriment um, jug um, parricidi
um, sang uis, don um, lac us, part us, sarment um, edict um, laq
ueus, pas sus, satan us, aedifici um, lard um, patron us, secret um,
effect us, legatari us, pel lis, senat us , element um, librari us,
pin us, sens us, emissari us, lapidari us, planct us, serv us,
emolument um, loc us, plumb um, silenti um, exces sus, lum en, pol
us, sol um, fac ies, luminar e, pontificat us, son us, fact um, mal
um, porc us, sortilegi um, fam is, malefici um, port us, statut um,
ferment um, magistrat us, prat um, styl us, fer rum, mandatari us,
praefect us, succes sus, fil um, man us, praejudici um, suc cus, fin
is, mantel lum, praesagi um, suffragi um, flum en, mar e, praetext
us, supplici um, foc us, marit us, precari um, territori um, franc
us, mercenari us, pretori um, testament um, fragment um, metal lum,
privilegi um, tom us, fruct us, mod us, proces sus, ton us, frument
um, monasteri um, progres sus, tribut um, fum us, monument um, psalm
us, triumph us, fund us, mund us, pugilat us, trunc us, fust is,
mysteri um, punct um, tumult us, gran um, nard us, quint us, tyran
nus, glori a, nav is, quintal e, univers us, gel u, negoti um, ram
us, urs us, genitiv us, nerv us, rapt us, val lis, gurg es, nod us,
refectori um, vas um, gust us, nom en, refugi um, vent us, habit us,
notari us, repertori um, victori a, histori a, object us, ris us, vin
um, hospici um, offici um, rudiment um, vis us, indici um, oratori
um, sabbat um, viti um, interdict um, ornament um, sacrament um, zel
us, intestin um, pact um, salt us.)
Quand
la suppression de la désinence laissait à la fin du mot deux ou
plusieurs consonnes, dont la prononciation ne rendait plus le son
plein qu' exige l' euphonie, une voyelle finale fut ajoutée à ces
consonnes:
Ainsi, arbitrum produisit arbitre, (arbitr – um –
arbitr – e - arbitre)
(1: De même:
Candelabre –
candelabrum – um + e, lucre, ministre, simulacre, exemple, lustre,
quadruple, spectre, libre, monstre, sepulchre, temple.
J' aurai
occasion de faire remarquer, dans le cours de cet ouvrage, qu' il
existe encore aujourd'hui des patois qui n' ajoutent pas cette
voyelle finale.)
Quelquefois
des noms furent formés par la seule soustraction des voyelles
intérieures,
Corpus,
tempus, corps, temps.
D'
autres changèrent en Y le G final, qui, après la suppression de la
désinence, les eût terminés trop durement.
Legem, regem, (leg
em : y, reg em : y) ley, rey.
Enfin,
par une soustraction intérieure combinée avec la suppression de la
désinence et son remplacement par la voyelle finale, furent formés
les noms tels que Articulus, (-us, articul) article, Oraculum (-um,
oracul), oracle, Arborem (-em, arbr + e) arbre, etc. etc.
(2: De
là:
Miracul
um, obstacul um, receptacul um, saecul um, spectacul um, tabernacul
um, avuncul us.
Et les féminins en A, tels que
Fabula, regula,
tabula, ungula, etc. etc.)
L'
euphonie fit aussi supprimer les consonnes intérieures qui auraient
rendu trop rude la prononciation des noms tels que
Fratre m, Matre
m, Patre m, (N. E. Frater, Mater, Pater)
qui furent remplacés
par
Frare, Mare, Pare.
Une autre classe de substantifs se
compose de ceux qui par leur identité avec le nominatif latin,
paraissent avoir été fournis par ce nominatif même.
Presque
tous les substantifs en A: rosa, porta, terra.
Quelques-uns en AL
animal, sal.
En AR: Caesar, nectar.
En EL: Fel, mel... En OL:
sol.
Ceux en OR: Amor, furor, vapor.
En UL et en UR: Consul,
murmur.
En US: Jus, hiatus.
Cependant
la plupart de ces substantifs furent peut-être dérivés de l'
accusatif latin, lorsqu' il était le même ou qu' il devenait le
même par la suppression de la désinence. Ainsi le singulier Rosa
serait venu de l' accusatif Rosam. Ce qui permettrait de le penser,
c'est que le pluriel Rosas n' a pu être emprunté que de l'
accusatif Rosas.
Cette
observation s' applique à tous les noms féminins en A.
Formation
des adjectifs.
Les mêmes règles dirigèrent leur
formation:
Assidu us, baptismal is, clar us, delicat us, evident
em, fort is, glorios us, human us, infect us, just us, long us, mut
us, nud us, obscur us, prompt us, qual is, rustic us, sanct us,
tumultuari us, un us, vil is.
(2. N. E. No hay nota al pie)
(1)
En voici un tableau qui pourrait être plus considérable:
Abject
us, absent em, agil is, amar us, annal is, ardent em, ardu us,
arrogant em, bel lus, excellent em, lent us, plen us, bon us, exigu
us, liberal is, poenal is, boreal is, extravagant em, litteral is,
present em, brev is, facil is, local is, prudent em, caduc us, fals
us, long us, pudibund us, capital is, fat uus, lontan us, pur us,
captiv us, fecund us, lustral is, quant us, cardinal is, feminin us,
major, quotidian us, central is, fertil is, maculin us, rauc us,
clement em, fidel is, martial is, recent em, circumspect us, frequent
em, minor, ridicul us, civil is, furios us, moral is, rud is, commun
is, futur us, municipal is, san us, conjugal is, generos us, mut us,
secret us, content us, grand is, mystic us, servil is, contigu us,
gratios us, natal is, sinistr um, contrit us, gratuit us, nativ us,
suav is, constant em, grav is, negativ us, subit us, correct us,
habil is, nov us, subtil is, decent em, heroic us, novel lus,
succulent us, desert us, honest us, nubil is, suspect us, dextr um,
humil is, nul lus, surd us, diligent em, indulgent em, nuptial is,
tal is, direct us, ingrat us, odorant em, tot us, discret us,
innocent em, officios us, tranquil lus, disert us, inquiet us,
opportun us, triumphal is, distant em, intelligent em, opulent em,
util is, divers us, intemperant em, oratori us, urgent em, divin us,
inusitat us, ordinari us, van us, docil is, inutil is, oriental is,
venal is, doctoral is, judiciari us, par, violent us, dotal is,
juridic us, pastoral is, viril is, dur us, lasciv us, pervers us, viv
us, eloquent em, latin us, pestilent em, vulgar is, elegant em, larg
us, petulant em, eminent em, legal is, plan us.
Parmi
les adjectifs de la nouvelle langue, il faut compter, sans aucune
exception, tous les adjectifs verbaux formés des participes présents
et passés.
Amant
em, Amat um, etc. etc.
Il
y eut aussi, dans la formation de quelques adjectifs, des
soustractions d' une voyelle intérieure, comme dans les noms
terminés en Ibilis.
Divisibil
is, Eligibil is, Flexibil is, Terribil is, Horribil is, Visibil is,
etc.
Telle
fut en général l' origine et la formation des noms substantifs et
adjectifs de la langue romane.
J'
en ai exposé la théorie; il me reste à la confirmer par des
exemples.
Je
les choisis dans les divers monuments de cette langue, depuis le
commencement du VIIe siècle jusqu' à l' an 1000.
Exemples
de l' emploi des substantifs romans.
Je
ne m' arrêterai point sur les différents substantifs romans qui se
trouvent dans le serment de 842, tels que Amur, Deo, Deus, Fradre,
Om, Plaid, Sagrament, Salvament, etc.; je citerai des exemples qui n'
aient pas encore été remarqués.
Rio
venant de Rivus, ruisseau, se trouve employé en France dès 631 (1),
en Italie dès 776 (2), et en Espagne, aux années 781 (3), 888 (4),
et 922 (5).
Gurg,
de gurges, gouffre, est employé dans un titre de l' église d' Urgel
/(6), en 832.
Feu,
de feudum, fief, se trouve dans un acte de 935 (7).
Mas, de
mansus, certaine contenance de terre, se rencontre plusieurs fois
dans un titre de 935 (8).
Castel,
de castellum, château,
Dam,
de damnum, dommage,
Dreit,
de directum, droit,
Merce,
de merces, salaire,
Postad,
de potestatem, pouvoir, sont dans les titres de l' an 960 (9).
Jornal,
de diurnale, mot de la basse latinité (10), signifiant quelquefois
journée de travail, se remarque trois fois dans un monument de 964
(11).
(1)
Per ipso fluvio usque RIO quæ est... Per memorato RIO... Et alio
RIO. Diplom. ad res francicas spect. t. I, chart. 73.
(2)
A levante RIO qui currit... A tramuntante RIO russo usque silva
majore... In loco ubi nuncupatur Rio Porto. Muratori Dissert. 21 et
32. (3) Voyez page 48, note 2.
(4)
In valle quæ nuncupant Rio Pullo. In Rio Mexanos; Marc. Hispan.
(N.
E. Ripoll, )
(5) In caput de Rio. España Sagrada, t. 18.
(6)
Vadit in Gurg Cabellar. Marca Hispanica.
(7)
Usque in finem Tarni ad alode et a feu. Memoires pour l' hist. du
Rouergue, par Bosc.
(8)
Testament d' Amblard, seigneur du Rouergue. Hist. des évêques de
Rodez, Ms. par Bonald.
(9)
Ms. de Colbert.
(10)
On le trouve dans les Capitulaires.
(11)
Exeminam unam de vino et Jornals novem ad ipsas vineas et Jornals
duos ad messes colligendas. Et Jornals duos ad ipsa era. Marc.
Hispan.
Cart,
de quartum, quart,
Fabriga,
de fabrica, fabrique,
Pont,
de pontem, pont, se lisent dans un titre de 987, hist. du Languedoc
pr. t. 2. Ce même titre offre Alo, Aripin, Blat, substantifs de la
langue romane, que la basse latinité exprimait par les mots d'
alodem, aleu, d' agripenus, arpent, et de bladum, bled.
Val, de
vallis, vallée, vallon (1), se trouve dans un titre de 988.
Dans
le poëme sur Boece, il n' est presque aucun nom qui ne soit
exactement formé selon l' analogie reconnue; je citerai entre
autres:
Aur, enfant, perjuri, cap, essemple, rei, caritat, jovent,
sang, clau, largetat, valor, decepcio, libre, vertut, domna, mort,
vis (2).
(1) In ipsa Serra de Val de Bactors. Marc. Hispan.
(2:
Amor, emperador, mort, salvament, auma (o anma), emperi, musa,
sapientia, cant, fam, nom, Satan, causa, fog, ome, scala, cel, lei,
paluz, sermo, claritat, licentia, part, significatio, cor, luna,
passio, terra, creator, luxuria, peccador, torment, Deu, Majestat,
pel, veritat, diable, mandament, redemcio, vertut, doctor, mar,
sacrament, vita.
Exemples
de l' emploi des adjectifs romans.
On
lit dans le serment de 842:
Christian,
commun, Cadhun, nul.
Les
titres de 960 et 987, déja cités, offrent:
Tot,
nul, quant, meg.
Et
le poëme de Boece:
Bel, ferm, menut, clar, gran, par, corporal,
grav, sord, dextre, jove, temporal, dreit, long, semestre, fals, mal
aptes (1: Malade, de male aptus.), viv (: viu).
Cette
opération grammaticale fut si exactement et si généralement
soumise aux règles de l' analogie, que, par la seule théorie, on
devinerait la forme des noms romans, toutes les fois qu' ils ont été
dérivés de noms latins.
Les
mêmes principes furent appliqués aux substantifs et aux adjectifs,
lorsque le nouvel idiôme prit seulement leur racine dans le latin,
et à ceux même qu' il emprunta des langues étrangères: les formes
et les terminaisons de ces noms n' ont aucun caractère qui les
distingue essentiellement du reste des noms romans.
Séduits
par la conformité que les désinences en O et en E de l' ablatif
latin offrent avec les désinences de la plupart des noms italiens et
espagnols, quelques philologues ont prétendu que l' ablatif latin
avait fourni directement les substantifs et les adjectifs de la
langue italienne et de la langue espagnole.
Mais
comment les ablatifs Cantu, Fructu, Virtute, Veritate, Febri, Navi,
Tempore, Frigore, Viridi, Forti, Celebri, Salubri, etc. auraient-ils
produit les noms italiens et espagnols Canto, Fruto et Frutto, Virtu
et Virtud, Verita et Verdad, Febbre et Fiebre, Nave et Navío, Tempo
et Tiempo, Freddo et Frío, Verde, Forte et Fuerte, Celebre, Salubre,
et tant d' autres semblables?
Ces
philologues n' avaient considéré que les rapports de l' idiôme de
leur pays avec la langue latine. Ignorant que la langue romane
intermédiaire avait dit: Cant, Fruct, Virtut, Veritat, Febre, Nav (:
nau), Temps, Freg,
Verd,
Fort, Celebre, Salubre, comment auraient-ils reconnu que chacun des
idiômes qui continuèrent la langue romane avait ajouté au mot
roman la modification et la désinence le plus convenables aux
peuples qui devaient le prononcer, et que si les Espagnols ont
conservé le mot roman Pan de Panem, les Italiens y ont ajouté la
désinence E, qui a produit Pane, tandis que les Français, modifiant
avec l' I la prononciation de l' A qui précède la consonne finale,
ont fait Pain; et les Portugais, selon leur usage, changeant l' N en
M, ont dit Pam, ou terminant le mot en O, et supprimant l' M devenu
intérieur, ont dit Paõ (1)?
(1)
Je pourrais rapporter ici beaucoup d' exemples semblables, mais je n'
anticiperai point sur les rapprochements et les comparaisons que j'
aurai occasion de faire des différents idiômes qui ont continué la
langue romane primitive.
Une
observation me semble décisive pour nous convaincre que les noms
romans ont été formés du nominatif, et principalement de l'
accusatif des Latins. Par ce systême, toutes les difficultés s'
expliquent, tandis que les autres cas, tels que le génitif et l'
ablatif, n' offrent pas le même avantage.
En
effet, d' où seraient venus les relatifs QUE M et QUI, les
substantifs REM et RES, DEU M et DEUS, etc.?
Au
reste, la solution de cette question particulière ne change rien au
fait certain et démontré, que la suppression des désinences des
cas, ou l' emprunt entier des mots latins, a produit presque tous les
substantifs et adjectifs de la langue romane primitive.
Mais,
lorsque les substantifs et les adjectifs eurent été affranchis des
terminaisons qui caractérisaient les cas latins, le seul emploi des
prépositions DE et AD pouvait-il suppléer à l' absence des signes
qui spécifiaient ces cas?
Non,
sans doute; cet emploi n' était pas assez fréquent; aussi, quand il
n' avait pas lieu, les substantifs ne pouvaient être que
difficilement reconnus.
La
nécessité suggéra une nouvelle ressource. Des documents nombreux
attestent, d' une manière incontestable, que les pronoms ILLE et
IPSE étaient employés auxiliairement dans la langue latine
corrompue, et désignaient, comme substantifs, les mots au-devant
desquels ils étaient placés; en voici des exemples:
VIe
siècle: "Calices argenteos IV... ILLE medianus valet solidos
XXX...
Et ILLE quartus valet solidos XIII.”
An 552. Test.
Aredii Diplom. chart. t. I.
“Super
fluvium Bria, in quo cadit quidam rivulus qui IPSAS determinat
terras, et pergit IPSUS finis... Per IPSAM vallem et rivolum vadit."
An
528. Dipl. CHILDEBERTI I. Diplom. chart. t. I.
(N. E. Ses illes;
ipsas terras : sas terras : ses terres)
VIIe
siècle (1): "ILLI Saxones... Persolvant de ILLOS navigios... Ut
ILLI negociatores de Longobardia sive Hispania et de Provincia et de
alias regiones."
An
629. Dipl. Dagoberti I, Dipl. chart. t. I.
“IPSUM
monasterium... Vastatum est, et omnes res quas IPSI monachi habebant
cum IPSIS chartis deportata." An 663. Dipl. chart. t. I.
VIIIe
siècle (2): "Dono... præter ILLAS vineas, quomodo ILLE rivulus
currit... Totum ILLUM clausum.
An
721. Diplom. chart. t. I.
(1)
Les exemples de ce siècle me paraissent les plus décisifs, soit à
cause du nombre, soit à cause de l' époque:
ILLE
judex metuendus... Cum eo ponat judicium per ILLUM judicii tremendum
diem... Unde ILLE rex celestis pro nobis retributor existat. An 615.
Test. Bertrandi. Dipl. chart. t. I.
Si
autem dux exercitum ordinaverit et in ILLO fisco aliquid furaverit...
ILLE minimus digitus ita solvetur ut pollex... ILLI autem alii
articuli si abscissi fuerint... Si quis alteri oculum ruperit et ILLE
pupillus intus restitit... Si occisus fuerit episcopus, sicut et
ILLUM ducem ita eum solvat... Fugit ille qui occidit et ILLI pares
sequuntur... ILLA pecunia post mortem mulieris retro nunquam
revertatur, sed ILLE sequens maritus aut filii ejus in sempiternum
possideant... Si ille talem equum involaverit quam Alamani Marach
dicunt, sic eum solvat sicut et ILLUM æmissarium... Si enim in
troppo de jumentis ILLAM ductricem aliquis involaverit. An 630.
Capitul. lex Alamanorum.
(2)
Judicatum ut ILLA medietate de ipsa porcione... Tam ILLA alia
medietate quam et ILLA fidefacta. An 716. Dipl. Chilperici III. Dipl.
chart. Placuit nobis ut ILLOS liberos homines comites nostri ad eorum
opus servile non opprimant.
An 793. Capit. Karol. Mag.
"Dicebant
ut ILLE teloneus de ILLO mercado ad ILLOS necuciantes..."
An
753. Dipl. et chart. t. I.
“Quiliano
ab integre; Lapedeto IPSA quarta parte; Colonicas Mercuriano IPSA
quarta parte."
An
782. Hist. du Languedoc, preuves, t. I.
IXe
siècle: "Dicunt etiam quod ILLOS pauperiores constringant et in
hostem ire faciunt."
An
811. Capit. Karoli Magni.
“In
aliquis locis IPSI vicinantes multa mala patiuntur.”
An 806.
Capit. Karoli Magni.
Xe
siècle. A cette époque, et sur-tout dans les pays méridionaux, l'
usage de cette locution devint si fréquent et si général, que la
langue latine, déja corrompue par tant d' autres causes, n' offrit
plus qu' un jargon grossier et entièrement défiguré (1: Qu'on
parcoure les titres et les écrits du temps, et notamment les preuves
de l' Hist. du Languedoc, t. I et II, les appendices de l' Historia Tullensis, et du Marca Hispanica, les pièces justificatives dans le
Gallia Christiana.)
Quand
nous trouvons, dans les titres et les documents de ces diverses
époques, l' emploi auxiliaire des pronoms démonstratifs, pour
désigner les substantifs qu' ils précèdent, douterions-nous que l'
usage, ainsi établi dans la langue latine écrite, ne fût encore
plus commun dans la langue latine parlée?
Et
n' est-il pas évident que les nombreuses altérations et
modifications du pronom ILLE et de ses divers cas, produisirent les
articles de la langue romane?
Des
savants français et étrangers ont souvent observé que l' article
des langues modernes du midi de l' Europe, dériva du pronom ILLE et
de ses cas; mais ces philologues, ne remontant pas plus loin que la
langue à laquelle ils appliquaient leurs recherches, n' avaient pas
reconnu l' existence d' une langue intermédiaire; ils indiquèrent
des rapports et des ressemblances, sans attacher leurs observations
et leurs conjectures au systême général de l' origine et de la
formation de la romane primitive.
Ils
avaient négligé de fonder la théorie de leur systême sur la
preuve irrécusable de l' introduction des pronoms ILLE et IPSE dans
la langue latine corrompue, pour indiquer spécialement, comme
substantifs, les mots qu' ils précédaient; circonstance qui
explique comment, dans le nouvel idiôme, l' instinct grammatical,
par les nombreuses modifications du pronom ILLE et de ses cas, aura
produit ces signes divers qui constituent les articles.
Il
n' est pas hors de vraisemblance que du pronom IPSE, IPSO, employé
aussi fréquemment que le pronom ILLE au-devant des substantifs, la
nouvelle langue rejetant la première moitié, dont la prononciation
était dure et difficile, adopta la dernière, et produisit le pronom
démonstratif SO.
Il
y a plus; l' idiôme vulgaire Sarde, qui a conservé les
autres caractères constitutifs de la langue romane, offre la
circonstance remarquable que son article est SO, SA, venant sans
doute d' IPSE.
(N. E. Ses illes, Mallorca, ipsa : SA, sa casa, sa Calobra, sa padrina, &c.
Ipse – SE – ES.)
La
nouvelle langue parvint de cette manière à créer et à employer
ces articles, qui, en nous indiquant et le genre et le nombre,
suppléent à l' absence des cas; nouveauté aussi hardie qu'
heureuse, puisque, jusqu' alors, les langues qui usaient d' articles,
n' en avaient pas moins été soumises aux règles des déclinaisons.
Articles
de la Langue Romane.
Masculin. Féminin.
Sing.
el, lo la
Plur. Els, li, los, il las
combinés
avec les prépositions DE et AD,
Sing.
del, de la
Plur.
dels, des, de las
Sing.
al, el, a la
Plur. als, a las
Je
crois avoir prouvé comment les altérations et modifications du
pronom ILLE, et de ses cas masculins et féminins du singulier et du
pluriel, ont produit ces différents articles.
Je
ferai seulement deux observations sur l' article EL: La première,
que les Latins, dans le langage familier, se servaient d' EL LUM pour
ECCE ILLUM (1: En voici des exemples:
Nescio
qui senex modò venit: ELLUM, confidens, catus.
Terent.
Andr. act. V, sc. 2.
…
Parasitum
tuum
Video occurrentem, ELLUM usque in platea. Plauto, Curc. Act.
II, sc. 2.
… Aeschinus ubi est? - ELLUM, te expectat domi.
Terent. Adelph. Act. II. sc. 3.)
La
seconde, que le changement de l' I intérieur en E fut fréquemment
appliqué par la nouvelle langue aux mots qu' elle empruntait de la
langue latine (1: Ainsi IPSE fut modifié en EPS; IN produisit EN,
etc.)
Des
monuments des VIIIe, IXe, et Xe siècles attestent l' existence et l'
emploi de ces articles.
An
793. "In loco LA Ferraria." Muratori, dissert. 32.
An
810. "Ego Hugo DELLA Roca... Lo mas de Castan... EL desme de
Mauron. Arch. de Conq. Mém. pour l' Hist. du Rouergue, par Bosc.
880.
"Inde A LA croe... duos rivulos d' Asperiole... Ad LA Rochere...
Infra rivulum DEL Brol et rivum DES Espesses de Murt.”
Hist.
de Lorraine, par Calmet, Pr. t. II, col. 143.
884.
"Fossatum DE LA vite." Muratori, dissert. 32.
894.
"Villam nostram quæ vocatur AL LA Corbaria." Balus.
append. Hist. Tullensis.
An
924. "In loco qui dicitur AL can." Balus. append. Hist.
Tullensis.
927.
"Dimitto Sexterias villa... et AL LA Cassania." Baluze, Pr.
de l' Hist. de la maison d' Auvergne.
930.
"Sancti Beniti DEL Verni... Sancta Maria DE LA Garda.”
Baluze,
append. Hist. Tullensis.
An.
960. “DEL castel... DEL comoniment." Tit. des comtes de Foix,
de Bearn, etc. t. I, Ms. de Colbert.
987.
"Sunt illas terras A LAS fabrigas... de meg aripin de vinea Lo
cart."
Hist.
du Languedoc, preuves, t. II, col. 141.
994.
"Sancta Maria da LI Pluppi." Muratori, Dissert. 32.
Ainsi
furent formés et introduits dans la langue romane ces articles qui
caractérisent les langues de l' Europe latine, c'est-à-dire la
langue française, l' espagnole, la portugaise, et l' italienne;
articles, dont l' emploi facile, mais uniforme, a délivré ces
idiômes modernes de la servitude des déclinaisons latines, sans
nuire à la clarté du discours.
Le
systême des articles fut-il indiqué par l' exemple qu' offrait la
langue grecque, ou par les exemples plus récents et plus présents
sans doute que fournissaient la langue gothique et la langue
francique, et les autres idiômes du nord, qui ont employé les
articles à une époque très ancienne?
On
peut dire de la langue grecque, que l' idiôme roman a si peu de
ressemblance avec elle, de ressemblance avec elle, soit pour les
articles et les cas, soit pour les autres formes grammaticales, qu'
il est très vraisemblable que, dans son origine, il n' emprunta rien
de cette langue.
A
la vérité, nous rencontrons des hellénismes dans la langue des
troubadours; ils y furent introduits sans doute par les habitants du
midi de la France, dont la plupart étaient originaires de la Grèce:
ces hellénismes enrichirent sans doute l' idiôme nouveau, mais n'
influèrent pas sur sa formation.
Quant
à la langue gothique et à la langue francique, il est vrai que la
traduction de l' évangile, faite en langue gothique par
Ulphilas, dans le IVe siècle, et que des monuments de la langue
francique, qui remontent aux VIIe et VIIIe siècles, offrent l'
emploi des articles.
Mais
les articles de la langue romane sont absolument différents; et une
dissemblance encore plus décisive, et qui exclut toute idée d'
emprunt d' un idiôme à l' autre, c'est que les articles employés
par les Grecs, les Goths et les Francs, ne les exemptaient pas de la
nécessité de décliner les noms, soit substantifs, soit adjectifs,
tandis que l' affranchissement des cas est l' un des caractères
spéciaux de la langue romane.
Il
est donc permis de croire que l' existence des articles employés par
les autres idiômes, n' a eu aucune influence directe et immédiate
sur la formation des articles romans.
Toutefois
il est très vraisemblable que la langue gothique et la francique ont
contribué indirectement et médiatement à la formation des articles
romans, parce qu' elles ont été cause de l' introduction des
pronoms ILLE et IPSE dans la langue latine corrompue, à l' effet de
désigner les substantifs.
Les
Goths et les Francs avaient dans leur langue l' usage des articles.
Quand
ils furent mêlés avec les anciens habitants des pays qu' ils
avaient conquis, et où ils s' étaient établis, la nécessité d'
exprimer en latin les idées que leur esprit concevait d' abord sous
les formes de leur langue natale, les força de chercher un signe
latin pour reproduire le signe de l' article, qui, dans cette langue,
annonçait et désignait le substantif.
Et
comme les articles et les pronoms démonstratifs gothiques,
franciques, sont les mêmes, ou presque les mêmes (1) ces peuples
eurent recours aux pronoms démonstratifs de la langue latine ILLE et
IPSE, pour rendre dans cette langue le signe qui, dans leurs idiômes,
caractérisait le substantif en le précédant.
(1: Gothique d'
Ulfilas. Francique.
Article. Pron. dém. Article.
Pron. dém.
Nominatif.
sa sa der dher
Génitif. this this dhesses dhesses
Datif
et
Ablatif. thamma thamma dhemo desemo
Accusatif. thana thana then thesen
On
remarque un emploi très fréquent de l' ILLE, faisant les fonctions
de l' article dans la loi publiée par Dagobert, sous le titre de Lex Alamanorum, qui paraît n' être que la traduction d' une loi
originairement écrite en langue francique, traduction faite sans
doute pour les peuplades qui avaient traversé le Rhin. Au contraire
la loi qui fut aussi publiée par Dagobert, sous le titre de Lex Ripuariorum, c'est-à-dire des habitants du pays situé entre le Bas
Rhin et la Basse Meuse, la plupart anciens Romains, n' offre plus le
même emploi de l' ILLE devant les substantifs (2: Dans le gothique
et le francique, tous les substantifs ne reçoivent pas constamment
l' article; ce qui explique pourquoi, dans la langue latine
dégénérée, l' ILLE et l' IPSE ne sont pas toujours placés devant
les mots, qui, ensuite employés par la langue romane et par les
langues qui en furent la continuation, ont presque toujours été
précédés de l' article.
L'
opinion que je propose me paraît acquérir une sorte d' évidence
par la circonstance remarquable que la langue romane, alors qu' elle
a été vulgaire, a produit un semblable effet sur la langue latine,
employée encore dans les actes publics. Les rédacteurs
substituaient à l' article roman de leur idiôme vulgaire parlé ces
pronoms ILLE et IPSE de l' idiôme latin écrit, ainsi que l' avaient
fait autrefois les Goths et les Francs; et cela devait arriver, quand
ces rédacteurs pensaient en langue romane, et écrivaient en langue
latine (1:
J' ai antérieurement indiqué les collections où l'
on trouve de semblables emplois de l' ILLE et de l' IPSE par l' effet
de la réaction de la langue romane.
"IPSUM
alodem de sanctas puellas cum IPSA ecclesia dono sancto Stephano...
IPSE alodes de Canuas... Ipsa Roca cum IPSA ecclesia... IPSE alodes
de Manulfellio monte cum IPSAS vineas remaneat auriolo (Auriolo,
Oriol) Sancio. IPSE alodes de IPSO Solario... Et ILLA Boscaria
remaneat Armardo, etc." An 960, Testament d' Hugues, évêque de
Toulouse.
“Dono
ad ILLO cœnobio de Conquas ILLA medietate de ILLO alode de Auriniaco
et de ILLAS ecclesias... ILLO alode de Canavolas et ILLO alode de
Crucio et ILLO alode de Pociolos et ILLO alode de Garriguas et ILLO
alode de Vidnago et ILLO alode de Longalassa et ILLOS mansos de
Bonaldo, Poncioni abbati remaneat.” Au 961. TESTAMENT de Raimond
Ier, comte de Rouergue.)
L'
emploi auxiliaire de l' ILLE et de l' IPSE devant les substantifs se
trouve aussi dans les titres et chartes de l' Italie (2) et de l'
Espagne (1-a); mais ces pièces ne sont pas d' une date aussi reculée
que les diplômes de la France dans lesquels j' ai recueilli les
exemples que j' ai cités.
(2)
En Italie:
An
713: "Prope IPSA ecclesia presbiteri... Ad IPSA Sancta Vertute."
Muratori, dissert. 5.
An
736: "IPSA supra dicta scolastica.” Muratori, dissert. 14.
An
752: "Donamus in IPSA sancta ecclesia... IPSE prænominatus
sanctus
locus."
Muratori, dissert. 21.
An
810: "Una ex ipse regitur per Emmulo et ILLA alia per
Altipertulo...
IPSA
prænominata Dei ecclesia.” Muratori, dissert. 12.
An
906: On lit dans les Annotazioni sopra i papiri de Marini, page 262,
un
testament où l' article IPSE est très fréquemment employé:
“Habeat
et IPSUM cellarium de IPSA cerbinara; habeat et IPSA domum de IPSUM
geneccum et IPSUM centimullum cum IPSA coquina, etc."
(1-a)
En Espagne:
An
775 (*: A l' occasion de ce titre de 775, l' auteur observe que c'est
le plus ancien titre qu' il ait connu parmi les manuscrits de l'
Espagne: "Scripturarum omnium quæ ad nostram pervenere notitiam
hæc vetustior."):
“Per ILLUM pelagrum nigrum... Per ILLAS
casas alvas...
Per ILLA lacuna." España Sagrada, t. XVIII.
An
781: "Per ILLO rio qui vadit inter Sabbadel et villa Luz et inde
ad ILLAM Molon, de ILLA strada de Patrunel et inde per ILLA via quæ
vadit
ad
ILLO castro de Poco et per ILLA via quæ vadit ad petra Terta...
Et
inde per ILLA strata de Guardia et inde per ILLA arclia de Branias et
per ILLO rivulo de inter Brana, Trabera et Branas de Oldial et per
ILLAS Mestas... et inde ad ILLO rio de Rillola... ad ILLO Poco de
Trabe... et per ILLO Molon de inter ambos rivos ad ILLO rio unde
prius diximus." Chart. Sylonis regis. Historias de Idacio, p.
130.
An
844: "De ILLA Cartagera usque ad ILLAM villam, et deinde ad ILLO
plano... Et de ILLAS custodias, etc." España Sagrada, t. XXVI.
Enfin on trouverait un nouveau motif de conviction dans une
autre circonstance également décisive, que je crois ne devoir point
omettre.
Dans
quelques pays du nord, où les articles employés par l' idiôme
vulgaire sont les mêmes ou à-peu-près les mêmes que les pronoms
démonstratifs, la langue latine usitée pour les actes publics a
quelquefois subi, comme dans les pays de l' Europe latine, l'
introduction du pronom ILLE, en remplacement de l' article de l'
idiôme vulgaire; la même cause produisant ainsi le même effet, en
différents temps et en différents lieux (1: Les citations suivantes
suffiront:
“Laureshamense
cœnobium extructum hoc anno 770. Insigne dotatum est
a Cancore comite et Anguila conjuge ejus.
Terram
et silvam quæ est in ILLA marcha de Birstat... Et de IPSO rubero ad
partem aquilonis sicut IPSA incisio arborum in IPSA die facta
fuit: et sic ad ILLAM ligneam crucem quæ est posita juxta
ILLAM viam quæ venit de Birstat... usque ad ILLUM monticulum."
Eckart, Franc. Orient. t. 1, p. 610.
S.
Burchard, évêque de Wirstbourg en Franconie, dans une homélie
contre les superstitions populaires, traduisant les expressions du
vulgaire, s' exprime ainsi:
“Sed
dicunt sibi: ILLUM ariolum vel divinum, ILLUM sortilogum, ILLAM
erbariam consulamus." Eckart, Franc. Orient. t. I, p. 844.).
Le
fait est donc évident: c'est à l' introduction du pronom ILLE dans
la langue latine corrompue, et aux diverses altérations et
modifications des cas de ce pronom, que la nouvelle langue fut
redevable et des articles et de la sorte d' articles qui la
caractérisent.
L'
usage des cas procure aux idiômes deux avantages précieux.
Le
premier, c'est une clarté inaltérable, puisque les désinences
permettent de discerner sur le champ les sujets des régimes, et ces
régimes les uns des autres.
Le
second, c'est la grâce et le mérite des inversions: quand l' ordre
direct n' est pas nécessaire, le déplacement des divers mots de la
phrase, loin de nuire à la clarté, ajoute quelquefois à la clarté
même, en permettant de les disposer de manière qu' ils présentent
une gradation de nuances; alors leur place, habilement assignée,
concourt à la perfection et à l' effet de l' image.
Pour
obtenir ces deux avantages, la nouvelle langue créa une méthode
aussi simple qu' ingénieuse, qui produisit le même effet que les
déclinaisons latines.
Au
singulier, l' S ajouté ou conservé à la fin de la plus part des
substantifs, sur-tout des masculins, désigna le sujet; et l' absence
de l' S désigna le régime, soit direct, soit indirect.
Au
pluriel, l' absence de l' S indiqua le sujet, et sa présence les
régimes.
D'
où vint l' idée d' une telle méthode? De la langue latine même.
La seconde déclinaison en US suggéra ce moyen.
Le
nominatif en US a l' S au singulier, tandis que les autres cas
consacrés à marquer les régimes, sont terminés ou par des
voyelles ou par d' autres consonnes; et le nominatif en I au pluriel
ne conserve pas l' S, tandis que cette consonne termine la plupart
des autres cas affectés aux régimes.
Peut-on
assez admirer cette industrie grammaticale, qui n' a existé dans
aucune autre langue, industrie qui ensuite permit et facilita aux
troubadours la grâce et la multitude des inversions à-la-fois les
plus hardies et les plus claires?
Les
anciens monuments de la langue romane offrent l' heureux emploi de ce
signe caractéristique.
Dans
le serment de 842, on lit:
SI
Lodhwigs, quand ce nom propre est sujet; et en ensuite Contra
Lodhuwig, quand il est régime;
Carlus,
sujet; et deux fois Carlo, et une fois Karle, régimes;
Avec
Carlus, sujet, meos sendra; et avec Karlo, régime, meon, son.
NE
JO NE NEULS, comme sujet; NUL PLAID, comme régime.
DEUS,
sujet; et pro DEO AMUR, régime.
L'
auteur du poëme sur Boece a observé exactement cette règle, soit
pour le singulier, soit pour le pluriel:
Sing. Tot aquel LIBRES
era de fog ardent...
E
sa ma dextra la domna u LIBRE te (1).
LIBRES
est sujet, et LIBRE est régime.
Plur. Molt lo laudaven e AMIC e
PARENT... (2).
Molt fort blasmava Boecis SOS AMIGS.
AMIG
est sujet, et AMIGS régime.
Pronoms
Personnels.
Fidèle
à son systême d' imitation, l' idiôme roman s' appropria les
pronoms personnels de la langue latine: il employa les uns sans y
faire le moindre changement, et les autres en les soumettant à des
modifications ou contractions toujours dirigées par l' analogie:
JO,
JEU, EO, EU, d' EGO, MI de mihi, ME de ME, NOS de NOS.
"Si
Jo returnar no l' int pois... Ne Jo ne neuls... Si salvarai EO
(1)."
(1) "Si JE detourner ne l' en puis... Ni MOI ni
nul... Oui, sauverai-JE..."
Serment
de 842.
Morz
fo Mallios Torquator dunt EU dig (2).
(2) Mort fut Mallius
Torquator dont JE parle." Poëme sur Boece.
"Deus
savir et podir ME dunat... Il MI altresi fazet (3)."
(3)
"Dieu savoir et pouvoir me donne... Il ME ainsi faira."
Serment de 842.
"Ora pro NOS (4). Nos en comonirez (5)”.
(4)
"Priez pour NOUS. Litan. Carol. vers 780.
(5: “Nous en
avertirez.” Actes de 960, MS. de Colbert.)
TU
de TU, TE de TE, TI de tibi, vos de vos.
"Tu
m' en comonras... Tu m' en absolveras... No T' en tolrai...
Ni 'l
TE vederai... Ab TI et senes TI... No 'l vos tolrei... Vos en
devederei (6: "Tu m' en avertiras... Tu m' en dispenseras... Ne
t' en ôterai... Ni le TE défendrai... Avec TOI et sans TOI... Ne le
vous ôterai... Vous en empêcherai." Actes de 960, MS. de
Colbert.)
IL
d' ILLE, EL d' ELLUM, LI, LUI d' ILLI, Lo d' ILLO, IL d' ILLI.
(N.
E. ille – il; ellum – lum; illi – il; illo – il)
"IL
mi altresi fazet...” (7: “IL me pareillement faira.” Serment de
842.)
EL
era 'l meler de tota la honor (8: “IL était le meilleur de toute
la seigneurie." Poëme sur Boece.)...
“Contra
Lodhuwig nun LI iver (9: “Contre Louis ne LUI irai”... Serment de
842.)...
Qui la LI tolra, la LI devedara (1: Qui la LUI ôtera,
la LUI prohibera..." Actes de 969, MS. de Colbert.)...
Ab
ipso memorato principe LUI concessa (2: Formul. Marculf. vers
650.)..."
Per
LUI aurien trastut redemcio (3: “Par LUI auraient tous
redemption...” Poëme Sur Boece.)...
Tu
lo juva (4: "Que tu l' aides”... Litan. Carol. Vers 780.
-
N. E. adjuvare : juva : cas. ayudar -)... Returnar L' int pois...”
(5: "Ramener l' y puis." Serment de 842.)
Fez
LO lo reis en sa charcer gitar... (6 : “Fit LE le roi en sa prison
jeter.”)
IL
sun tan bel e ta blanc e ta quandi (7: ILS sont si beaux, et si
blancs, et si brillants.)
ELLA
d' illa, LEI, ELLAS d' illas, LOR d' illorum.
Cum
ELLA s' auca, cel a del cap polsat...
Qui
amor ab LEI pren...
Entr'
ELLAS doas (8)...
(8: Comme ELLE se hausse, le ciel elle a de la
tête frappé...
Qui
amour avec ELLE prend... Entre ELLES deux.
Poëme
Sur Boece.)
"LOR
en seran...” (9: “LEUR en seront..." Actes de 960, MS. de
Colbert.)
De
part Boeci LOR manda tal raczo (10: “De par Boece LEUR mande telle
raison." Poëme sur Boece.)
SE
de SE, SI de sibi.
Sujet:
En epsa l' ora SE son d' altra color...
Régime:
C' ab damri Deu SE tenia forment...
Quascus
bos om SI fai lo so degra (11: En même heure ILS sont d' autre
couleur...
Qu'
avec le Seigneur Dieu se tenait fortement...
Chaque
bon homme se fait le sien degré.
Poëme
Sur Boece.).
Pronoms
Possessifs.
Les
pronoms possessifs romans furent pareillement dérivés de la langue
latine.
Les
masculins soumis au signe de l' S final qui caractérisait les sujets
du singulier, et les régimes du pluriel, aidèrent encore à la
facilité des inversions et à la clarté du discours.
On
a remarqué, dans les citations du serment de 842, MEOS sujet, et
MEON régime au singulier.
Le
poëme sur Boece présente:
SOS,
sujet, et SON, régime, au singulier;
SI
et SOI, sujets, et SOS, régime, au pluriel;
NOSTRE
et LOR, au pluriel.
Et
evers Deu era tot SOS afix...
Mas
non es bes que s fi' en SON aver...
Bel
sun SI drap, no sai nomnar los fils...
Lai
fo Boecis e foron i SOI par...
Molt
fort blasmava Boecis sos amigs...
No
credet Deu lo NOSTRE creator...
Las
mias musas qui an perdut LOR cant (1:
Et
envers Dieu était tout SON attachement...
Mais
il n' est pas bien qu' il se fie en SON avoir...
Beaux
sont ses vêtements, je ne sais compter les fils...
Là
fut Boece et furent y SES pairs...
Très
fort blâmait Boece SES amis...
Il
ne crut pas Dieu le NOTRE créateur...
Les
miennes muses qui ont perdu LEUR chant.
Poëme
Sur Boece.)
Les
pronoms féminins terminés en A au singulier et en AS au pluriel,
restèrent soumis aux règles générales qui gouvernaient les
substantifs féminins en A.
Dans
la grammaire détaillée de la langue romane, les pronoms possessifs
offriront des variétés nombreuses, et cependant toujours conformes
à l' analogie et aux caractères qui distinguent les sujets et les
régimes.
Pronoms
Démonstratifs.
L'
article, dans toutes les langues qui l' emploient, est une sorte de
pronom démonstratif général.
Elles
ont aussi des pronoms démonstratifs particuliers, qui désignent
spécialement le nom auquel ils sont attachés. La langue romane, qui
avait dérivé de la langue latine son article, en dériva aussi ses
pronoms démonstratifs.
D' ISTE vint IST, ISTA, changé ensuite
en EST, ESTA. Dans le Serment de 842, on trouve d' IST di.
De
la combinaison d' ILLE et d' ISTE avec HIC ou ECCE (1), furent formés
les démonstratifs romans
cil,
cist, icil, cel, celui, cest, etc.
aquil, icist, aquel, icest,
etc.
(1) Dans le langage familier, les Latins contractaient
quelquefois l' ECCE avec les pronoms ILLE et ISTE:
“Habeo
ECCILLAM meam clientem.” Plauto. Mil act. 3, sc. I.
“Tegillum
ECCILLUD mihi unum arescit." Plauto. Rud. act. 2, sc. 7.
"Certè
ECCISTAM video." Plauto Curcul. act. 5, sc. 2.
“Salvarai
eo CIST meon fradre Carlo”.
(2: “Sauverai moi CE mien frère
Charles." Serment de 842.)
CEL
non es bos que a frebla scala s te...
CEL
no quatra ja per negu torment...
CELLUI
vai be qui tra mal e jovent...
CIL
li faliren qu' el solient ajudar...
Mas
CIL qui poden montar...
AQUEL
qui la non estai fermament...
Tot
AQUEL libres era de fog ardent...
Ab
AQUEL fog s' en pren so vengament (1:
CELUI-LA n' est bon qui à
fragile échelle se tient...
CELUI-LA
ne tombera jamais par aucun tourment...
CELUI-LA
va bien qui supporte le mal en jeunesse...
CEUX-LA
lui faillirent qui le avaient coutume d' aider...
Mais
CEUX qui peuvent monter...
CELUI
qui là ne se tient fermement...
Tout
CE livre était de feu ardent...
Avec
CE feu elle en prend sa vengeance.
Poëme
Sur Boece.)
Le
pronom IPSE fournit d' abord à la langue romane EPS, EPSA, qui
ensuite furent modifiés:
EPS
li Satan son en so mandament...
En
EPSA l' ora se sun d' altra color (2:
MÊMES les démons sont en
son commandement...
En la MÊME heure ils sont d' autre couleur.
Poëme
Sur Boece.)
SEMETIPSE
fut également imité:
Ella SMETESSMA ten las claus de paradis... (Italiano medessima)
Ella
MEDESMA telset so vestiment (3:
Elle MÊME tient les clefs du paradis...
Elle
MÊME tissut son vêtement. Poëme sur Boece.)
Une autre
espèce de pronoms démonstratifs employés dans un sens imité du
neutre fut dérivée d' hoc, d' ipso.
O
d' hoc conserva dans la langue romane son acception latine, qui était
appliquée au sens neutre, et que la langue française a exprimée
par CELA:
“In
O quid il mi altresi fazet.” (1: “En CELA que il me pareillement
faira.” Serment de 842.)
AQUO,
formé de la racine d' aquell et de cet O roman, signifia CE:
"Fors
d' AQUO de que absolvera.” (2: “Hors de CE de quoi il
dispensera." An 989, Hist. de Languedoc, Pr. t. 2.)
Pronoms
Relatifs.
Avec
la même simplicité de moyens, et avec le même succès, la nouvelle
langue remplaça les nombreuses variétés qu' offraient les cas
latins du QUI relatif.
QUI
roman, pris du nominatif latin, servit à exprimer le QUI sujet, quel
que fût le genre ou le nombre du nom auquel il se rapportait.
QUE
dérivé de QUEM, accusatif régime direct, désigna ordinairement ce
régime, quel que fût le genre et le nombre du nom auquel il se
rapportait.
Quand
les prépositions s' attachèrent à QUE, il indiqua les régimes
indirects; et d' ailleurs, pour ces régimes, la langue romane
employa encore CUI, soit en conservant le datif, soit en supprimant
la désinence du génitif Cuius.
Du
pronom qualificatif QUALIS, elle forma QUAL; et, par l' adjonction de
l' article, il devint un pronom relatif auxiliaire.
QUE
fut parfois employé comme sujet, mais qui ne fut jamais employé
comme régime direct; quand on le soumit à l' action des
prépositions, il indiqua des régimes indirects.
Voici
des exemples des différents emplois de ce pronom relatif.
Sujet:
"Nul plaid nunquam prindrai QUI, etc."
Régime: "Si
Lodhwigs sagrament QUE son fradre Karlo jurat...”
(1: "Nul
accord ne prendrai QUI...
"Si
Louis le serment QUE à son frère Charles il jure..." Serment
de 842.)
Sujet:
“QUI las li tolra... QUI las vos tolra.” (2: "QUI les lui
ôtera... QUI les vous ôtera." Actes de 960, MS. de
Colbert.)
Régime: "Fors d' aquo de QUE absolvera.” (3:
“Hors de ce DONT il dispensera.” An 989, Hist. du Languedoc, pr.
t. I.)
Sujet:
Anc non vist u QUI tant en retegues...
Las
mias musas QUI an perdut lor cant...
Régime:
En CUI merce tuit peccador estant...
Molt
val lo bes QUE l' om fai e jovent (4: Oncques ne vit un QUI tant en
retint...
Les
miennes muses QUI ont perdu leur chant...
En
DE QUI la miséricorde tous les pécheurs sont...
Beaucoup
sert le bien QUE l' homme fait en sa jeunesse.)
Sujet: Cel
non es bos QUE a frebla scala s te (5: Celui-là n' est bon QUI à
fragile échelle se tient.
Poëme
Sur Boece.)
L'
adverbe latin UNDE fournit à la langue romane un nouveau moyen d'
exprimer le sens indiqué par les génitifs et les ablatifs latins du
QUI relatif.
De
UNDE (1), par le retranchement de l' E final, produisit DUNT:
(1)
On trouve, dans la basse latinité, l' emploi d' UNDE dans le sens de
CUJUS, A QUO, EX QUO.
"Arca
illa ubi solarius edificatus est cum orto UNDE agebatur." An
840. Muratori, Dissert. 10.
Morz
fo Mallios Torquator DUNT eu dig. (2: Mort fut Mallius Torquator DONT
je parle.)
Entre
autres acceptions, le QUE roman fut aussi employé à exprimer le
QUAM, l' UT, et l' EO QUOD des Latins:
Qui tant i pessa QUE al no
faria ja...
E
qui nos pais QUE no murem de fam. (3: Qui tant y pense QUE autre
chose ne fairait jamais...
Et qui nous paît AFIN QUE nous ne
mourions de faim. Poëme Sur Boece.)
QUI
et QUAL furent aussi employés comme pronoms interrogatifs:
Sing.
Sujet: E QUALS es l' om qui a ferma scala s te?
Sing.
Régime: CAL an li auzil significatio?
Plur.
Sujet: CAL sun li auzil qui sun al T montat? (4:
E QUEL est l'
homme qui à ferme échelle se tient?
QUELLE
ont les oiseaux signification?
QUELS
sont les oiseaux qui sont au T montés?
Poëme
Sur Boece.)
Appliquant
aux êtres animés les différentes modifications ou contractions de
ses cas, ILLE avait formé la troisième classe des pronoms
personnels.
Plusieurs
des modifications de ces cas, appliquées autrement qu' aux êtres
animés, formèrent une autre espèce de pronoms relatifs, toutes les
fois qu' elles ne précédaient pas un nom.
EL,
ELS, LO, LOS, LA, LAS, LOR.
"Ni
EL te vederei... Lo tornarei... No 'LS vos tolrai... NO LA L
devedera... NO LAS li devedera (1: “Ni LE te défendrai... LE
rendrai... Ne LES vous ôterai... Ne LA lui empêchera... Ne LES lui
empêchera.” Actes de 960. MS. de Colbert.)
De
même les autres pronoms démonstratifs IST, EST, CIST, CEST, ICEL,
AQUEL, etc. firent fonction de pronoms relatifs, lorsqu' ils n'
étaient pas attachés directement à un nom; parce que, employés de
la sorte, ils ne servent plus à démontrer immédiatement l' objet,
mais seulement à indiquer la relation qui existe avec cet objet
précédemment indiqué.
O,
SO, CO, ZO, AIZO, AQUO.
Les
pronoms démonstratifs O d' hoc, SO, CO, ZO, d' ipso, dérivés du
neutre latin, et employés par la langue romane dans le même sens,
devinrent aussi pronoms relatifs, lorsqu' ils furent employés
séparément, pour exprimer une relation, un rapport à une idée ou
à un nom, auquel ils n' étaient pas immédiatement attachés.
"No
o farai... Vos o tendrai..." (2: “Ne LE fairai... A vous LE
tiendrai." Actes de 960. Ms. de Colbert.)
Nos
e molz libres o trobam legen... (3: Nous en plusieurs livres CELA
trouvons en lisant...)
Zo
signifiga de cel la dreita lei...
Per
zo no 'l vol Boecis a senor...
Zo
sun tuit omne qui de joven sun bo. (1:
CELA signifie du ciel la
droite loi...
Pour
CELA ne le voulut Boece à seigneur...
Ce
sont tous hommes qui dès jeunesse sont bons...)
AIZO et
AQUO, signifiant CECI, CELA, CE:
Per
AIZO m fas e chaitiveza star. (2: Pour CECI tu me fais en captivité
être. Poëme Sur Boece.)
"Fors
d' AQUO de que absolvera." (3: “Hors de ce dont il
dispensera.” An 989. Hist. du Languedoc, pr. t. 2.)
L'
adverbe INDE avait, dans la langue latine, et sur-tout à l' époque
de sa décadence, quelquefois remplacé ou suppléé le pronom
relatif ILLE.
Au
lieu d' ILLIUS, d' ILLORUM, EX ILLO, AB ILLO, EX ILLIS, AB ILLIS, on
disait INDE, EX INDE:
Stant
calices; minor INDE fabas, olus alter habebat. Ovidio, Fast. 5.
Cadus
erat vini; INDE implevi Cirneam.
Plauto
Amphitr. act. I, sc. I.
(4:
Dans la basse latinité, cet emploi de l' INDE fut très fréquent:
“Ut
mater nostra ecclesia Viennensis INDE nostra hæres fiat." An
543. Diplom. Chart. t. 1.
“Cepit
de ipsis spolia; aliquid EX INDE dilecto filio nostro obtulit."
An 795. Hist. du Languedoc, Pr. t. 1.
“Ut
quidquid EX INDE facere volueris." An 888. Marc. Hisp. append.
Ce qui ne doit laisser aucun doute sur l' acception du mot EN
provenant d' INDE, c'est que, dans un titre où le roman est mêlé
au latin, on lit à-la-fois:
"Adjutor
INDE ero ad supradictum... Adjutor EN sere." An 1064. Marc.
Hisp. append.)
INDE
produisit d' abord INT, ensuite ENT, de même que la préposition
IN
produisit EN:
“Retornar
l' INT pois" (1: "Détourner le EN puis." Serment de
842.)
Ella
's ta bella, reluz' ENT lo palaz. (2: "Elle est si belle, reluit
EN le palais." Poëme sur Boece.)
“Per
quantas vez m' EN commonras... Postad t' EN darai... Fors quant tu m'
EN absolveras. (3: "Par quantes fois tu m' EN avertiras...
Pouvoir je t' en donnerai... Hors quand tu m' EN dispenseras."
Actes de 960. Ms. de Colbert.)
Tant
EN retenc que de tot no fo blos;
Tan
bo essemple EN laiset entre nos. (4: Tant EN retint que de tout il ne
fut dépouillé. Tant bon exemple il EN laissa parmi nous.
Poëme
sur Boece.)
Tibi
et sibi avaient fourni à la langue romane TI et SI. De même IBI (5)
produisit I, Y, espèce de pronom qui servit à exprimer les rapports
du datif, comme EN exprimait ceux du génitif ou de l' ablatif.
(5)
Dans la basse latinité, IBI signifiait quelquefois ILLI, ILLIS.
“Ipsum
monasterium expoliatum, et omnes cartæ, quas de supra dicto loco IBI
delegaverunt, ablatæ." An 664. Dipl. Clotaire III.
“Trado
IBI casale... Tradimus IBI terram... Dono IBI decimas.” An 888.
España Sagrada, t. 28.
"Non
y donara." (6: “N' y donnera." Actes de 985. Hist. du
Languedoc, Pr. t. I.)
Lai
fo Boecis e foren I soi par...
Qui
tant I pessa que al no fara ja. (7: La fut Boece, et furent Y ses
pairs...
Qui
tant Y pense que autre chose ne faira jamais.
Poëme
sur Boece.)
(N. E. Este I es HI, y se encuentra también en el
castellano antiguo como hy.)
Pronoms
Indéfinis.
Les
anciens monuments de la langue romane offrent plusieurs des pronoms
indéfinis, c'est-à-dire des pronoms qui, se rapportant à des
substantifs non exprimés dans le discours, en remplissent eux-mêmes
les fonctions.
OM d' homo.
“Sicum
OM, per dreit, son fradra salvar dist.” (1: Comme on, par droit,
son frère sauver doit." Serment de 842.)
Il se trouve
quelquefois précédé de l' article:
L' OM no 'l laiset a
salvament anar. (2: L' on ne le laissa à sauvement aller...)
UN
d' unus, AL, ALTRE d' alter, NUL de nullus, TOT de totus, RES, etc.
etc.
Cum
l' US lo pert, a l' ALTRE ve tener. (3: Comme l' UN le perd, à l'
AUTRE il voit tenir...)
Qui
tant i pessa que AL no fara ja. (4: Qui tant y pense que AUTRE CHOSE
ne faira jamais. Poëme sur Boece.)
"Ne
io ne NEULS." (5: Ni moi ni NUL.” Serment de 842.)
E
Teirix col TOT e mal sa razo...
Ne
potden tan e lor cors cobeetar,
Qu'
ella de TOT no vea lor pessar... (6: Et Théodoric accueille TOUT en
mal sa raison... Ils ne peuvent tant en leurs cœurs convoiter, qu'
elle de TOUT ne voie leur penser... Poëme sur Boece.
Quand
se regarda pero RES no L rema...
Non
ai que prenga ne no posg RE donar. (1: Quant il se regarde, pourtant
RIEN ne lui reste... Je n' ai que je prenne ni ne puis RIEN donner.
Poëme sur Boece.)
Les
pronoms démonstratifs devinrent de simples adjectifs, quand ils
furent joints à un nom.
Outre
les pronoms déja cités, qualiscumque produisit QUASCUN, quantus
QUANT, nec unus NEGUN, usque ad unum CADUN, multus MOLT, talis TAL,
etc.
Voici
des exemples de ces différents pronoms employés comme adjectifs:
Davan
so vis NULZ om no s pot celar. (2: "Devant son regard NUL homme
ne se peut celer." Poëme sur Boece.)
"Ab
Ludher NUL plaid nunquam prindrai... In NULLA ajudha. (3: Avec
Lothaire NUL traité jamais je prendrai... En NULLE aide."
Serment de 842.)
D'
UNA donzela fo lains visitaz...
Que
NEGUS om no pot deffar neient...
Cel
no quatra ja per NEGU torment. (4: D' UNE demoiselle il fut là
visité...
Que
AUCUN homme ne peut defaire néant...
Celui
là ne tombera jamais par AUCUN tourment. Poëme sur Boece.)
"Et
in CADHUNA cosa.” (5: "Et en CHACUNE chose." Serment de
842.)
QUASCUS
bos om si fai lo so degra...
De
part Boeci lor manda TAL raczo... (6: CHACUN bon homme se fait le
sien degré... De la part de Boece il leur mande TELLE raison.)
Nos
e MOLZ libres o trobam legen...
Lai
o solien las ALTRAS leis jutjar. (1: Nous en PLUSIEURS livres cela
nous trouvons en lisant...
Là où ils avaient coutume les AUTRES
causes juger. Poëme sur Boece.)
"Per
QUANTAS vez..." (2: “Par TOUTES les fois." Actes de 960,
Ms. de Colbert.)
La
langue romane imprima à quelques-uns de ses pronoms des signes
particuliers qui distinguent leur emploi comme sujets ou comme
régimes au pluriel. (3: La grammaire présentera à ce sujet les
exemples détaillés pour chaque pronom auquel cette règle fut
appliquée.)
Ainsi
TOT fit au pluriel masculin TUIT, quand il était sujet, et TOTS,
quand il était régime.
Sujet
Plur. Zo sunt TUIT omne qui de joven sun bo...
Régime
Plur. E te m soli' eu a TOZ (: tots) diaz fiar. (4: Ce sont TOUS
hommes qui dès jeunesse sont bons.
En
toi me avais coutume je à TOUS jours fier. Poëme sur Boece.)
Formation
des Verbes.
Pour
la formation des infinitifs, la nouvelle langue appliqua encore le
systême de suppression des désinences. Les verbes latins actifs
terminent presque tous leurs infinitifs en RE.
L'
E final fut rejeté, et l' R devint la terminaison presque générale
des infinitifs de la langue romane, qui furent en AR, ER, et IR.
LAT.
Amare, Tenere, Sentire.
ROM.
Amar, Tener, Sentir.
Assez
souvent la nouvelle langue changea en RE l' ER dérivé des verbes
latins en ERE, quand cet ER se trouvait après certaines consonnes.
Ainsi,
au lieu de Toler, Deceber, Escriver, et autres semblables, elle dit:
Tolre, Decebre, Escrivre.
On
a vu précédemment que les participes présents et passés
devenaient des adjectifs verbaux; et qu' il avait été produit,
AMANT
de amant em, AMAT de amat um.
La
suppression de la terminaison DO, qui caractérisait l' un des
gérondifs latins, produisit d' amando AMAN, qui conserva le sens
originaire.
Voici
des exemples des divers infinitifs:
AR:
“Son fradra salvar dist... returnar int pois. (1: Son frère SAUVER
doit... DÉTOURNER en puis." Serment de 842.)
ER,
RE: Ni gens de lui non volg TENER s' onor. (2: “Ni point de lui ne
voulut TENIR sa dignité." Poëme sur Boece.)
"Tolre
volgesses... N' auses combatre." (3: "OTER tu voulusses...
N' osasses combattre." Actes de 960, MS. de Colbert.)
IR:
Morir volria e es e gran masant. (4: MOURIR voudrait et il est en
grand trouble...)
Participes
présents et passés, et gérondifs:
ANT:
La pelz li rua; hec lo cap te tremblant...
AT:
Cum ella s' auca, cel a del cap polsat...
AN:
Cum el es velz, vai s' onor descaptan... (5: La peau lui ride, voici
que le chef il tient tremblant...
Comme
elle se hausse, le ciel elle a du chef frappé.
Comme
il est vieux, va sa dignité en diminuant.
Poëme
sur Boece.)
Indicatif.
Présent.
Pour désigner la première personne du présent de l' indicatif
actif, la langue latine changeait en O la terminaison de ses
infinitifs.
La
langue romane rejeta l' O, et cette première personne fut
ordinairement formée par la simple suppression de la terminaison AR,
ER ou RE, et IR, qui caractérisait le présent de ses infinitifs.
Ainsi
de plorar - pleurer, de fazer - faire, vinrent plor et faz.
Plor
tota dia, faz cosduma d' efant. (1: Je PLEURE tout le jour, je FAIS
coutume d' enfant." Poëme sur Boece.)
La
seconde personne fut conservée du latin: à l' exemple de la langue
latine, toutes les secondes personnes des divers temps et des divers
modes furent caractérisées par l' S final. Il n' y eut d' autres
exceptions que le singulier du prétérit simple de l' indicatif, et
le singulier du présent de l' impératif, et ces exceptions existent
aussi dans la langue latine.
Pour
la troisième personne, le T final des verbes latins fut toujours
supprimé, et on put employer aussi la forme caractéristique de la
première. (2: Quelquefois, à la première ainsi qu' à la troisième
personne, l' euphonie permit d' ajouter l' I final, même en
supprimant la consonne qui terminait ce temps du verbe.)
Ainsi
l' on dit:
De
part Boeci lor MANDA tal raczo... (3: De la part de Boece leur MANDE
telle raison...)
Ella
smetessma TEN las claus de paradis. (1: Elle-même TIENT les clefs du
paradis.)
La
première personne du pluriel fut formée en supprimant la finale US:
Amamus
AMAM, Tenemus TENEM, Habemus HAVEM:
Nos
e molz libres O TROBAM legen...
Nos
de molz omnes nos o AVEM veut. (2: Nous en plusieurs livres cela
TROUVONS en lisant...
Nous de plusieurs hommes nous cela AVONS
VU.)
La
seconde le fut par la soustraction de l' I intérieur de la
terminaison latine TIS: Amatis, AMATS. Toutes les secondes personnes
du pluriel des divers modes et des divers temps subirent cette
soustraction.
Et
la troisième par la suppression du T des Latins, comme d' Amant,
Aman, de Tenent, Tenen.
AN
des verbes en AR fut quelquefois modifié en EN ou ON, et EN des
verbes en ER le fut aussi quelquefois en ON, selon la prononciation
des différents pays.
Que
zo ESPEREN que faza a lor talen... (3: Qui cela ESPÈRENT que je
fasse à leur volonté... Poëme sur Boece.)
Imparfait.
Les verbes dérivés des verbes latins en ARE formèrent leur
imparfait par la suppression des désinences, excepté dans les
secondes personnes du singulier et du pluriel, l' une n' éprouva
aucun changement, et l' autre subit le retranchement de l' I
intérieur.
Lat.
Amabam, amabas, amabat, amabamus, amabatis, amabant.
Par
le changement très ordinaire du B en V,
Rom.
- amava, amavas, amava, amavam, amavats, amavan, amaven, amavon.
Voici
des exemples de cet imparfait:
Molt
fort Blasmava Boecis sos amigs...
De
sapiencia l' Apellaven doctor. (1: Très fort BLAMAIT Boece ses
amis...
De
sagesse l' APELLAIENT docteur.)
Les
verbes en ER, RE, et IR, dérivés des latins en ERE ou IRE,
adoptèrent la désinence en IA.
Il
est vraisemblable que la quatrième conjugaison latine fournit cette
désinence; la suppression ordinaire de la fin, et de EB intérieur
produisit ce temps de la langue romane.
Lat.
audiebam, audiebas, audiebat.
Par
le changement fréquent du D en Z, (Z : ts, tz)
Rom.
Auzia, auzias, auzia.
Lat. Audiebamus, audiebatis, audiebant.
Rom.
Auziam, auziats, auzian, auzen ou auzon.
C' ab damri deu se
Tenia forment...
De
tot l' emperi 'l Tenien per senor. (2: Qu' avec le seigneur Dieu il
se TENAIT fortement...
De
tout l' empire le TENAIENT pour seigneur.
Poëme
sur Boece.)
Prétérit
Simple. Ce temps éprouva plus ou moins de modifications selon les
différentes conjugaisons des verbes latins, mais ces modifications
furent toujours soumises aux règles de l' analogie.
Les
verbes romans dérivés des verbes latins en ARE, firent ce prétérit
en
EI,
EIS, ET, EM, ETS, ERON ou EREN.
Cui
tant amet Torquator Mallios...
NO
credet deu lo nostre creator. (1: Que tant AIMA Torquator
Mallius... Il ne CRUT Dieu le nôtre créateur.)
Plusieurs
verbes romans dérivés des verbes latins de la seconde et troisième
conjugaison en ERE, et sur-tout des verbes de la quatrième
conjugaison en IRE, firent leur prétérit simple en
I,
IST I, IM, ITS, IREN ou IRON.
No
t servi be, no la m volguist laisar...
Cil
li faliren qu' el solient ajudar. (2: Je ne te SERVIS bien, tu
ne la me VOULUS laisser...
Ceux-là lui FAILLIRENT qui avaient
coutume de l' aider.)
Prétérit
Composé. Il fut formé par le présent du verbe AVER, mis au-devant
du participe passé.
Quant
be se dreca, lo cel A PERTUSAT...
Zo
sun bon omne qui AN REDEMS lor peccat. (3: Quand bien se dresse, le
ciel elle A PERCÉ...
Ce
sont bons hommes qui ONT RACHETÉ leurs péchés.
Poëme
sur Boece.)
Plus-que-Parfait.
D' après l' analogie, on employa l' imparfait du verbe AVER devant
le même participe.
Futur
simple. A la fin du présent de l' infinitif roman fut placé le
présent du verbe AVOIR, ou en entier ou par aphérèse,
AMAR
AI (1), AS, A, AVEM, AVETS, AN.
Sing.
1.re p.: Si salvarai eo... prindrai... (2)
Vedarai...
aucirai... darai... tolrai... farai... (3)
2.e
Daras (4)... faras... comonras... absolveras... (5)
3.
e Decebra... devedara... tolra... asalira... recreira... (6)
Plural.
1.re Darem... tolrem... enquerrem... vedarem... serem... (7)
2.e
Commonirez... (8)
3.e
Decebran, seran, torneran, tolran, absolveran. (9:
Futur
Composé. Il fut formé en plaçant le futur simple du verbe AVER
devant le participe passé des verbes.
(2)
“Ainsi sauverai-je... Je prendrai..." Serment de 842.
(3)
“Empêcherai... Occirai... Donnerai... Oterai... Fairai."
Actes de 960, MS. de Colbert.
(4) “Tu donneras.” (*: Augustus
efficitur Justinianus; qui, nihil moratus, collecto exercitu contra
barbaros est profectus, et commissâ pugnâ, fugatisque hostibus,
regem se eorum cepisse gavisus est. Quem in solio regni juxtà se
sedere fecit, et ut provincias quas Romanis eripuerat, sibi
restitueret imperavit. Cui ille, non inquit, dabo. Ad hæc
Justinianus respondit DARAS. Pro cujus novitate sermonis civitas eo
loci constructa est cui DARAS nomen est. Aimoin, lib. 2, c. 5.)
(5)
“Tu fairas, tu avertiras, tu dispenseras...”
(6)
"Il trompera, prohibera, ôtera, assaillira, lassera..."
(7)
"Nous donnerons, ôterons, enquerrons, prohiberons, serons...
(8)
"Vous avertirez."
(9)
“Ils tromperont, seront, retourneront, ôteront, dispenseront.”
Actes de 960, MS. de Colbert.
Conditionnel.
Présent.
La désinence de l' imparfait du verbe AVER fut ajoutée au présent
de l' infinitif des verbes.
AMAR
IA, IAS, IA, IAM, IATS, IAN, ou ION, IEN.
NO
COMPRARI' Om ab mil livras d' argent. (1)
“TOLRIAN
ni t' en TOLRIAN." (2)
Per
lui AURIEN trastus redemcio. (3)
(1) “N' ACHETERAIT on pas avec
mille livres d' argent." Poëme de Boece.
(2) "OTERAIENT
ni t' en ÔTERAIENT." Actes de 960, MS. de Colbert.
(3) "Par
lui AURAIENT trèstous redemption.” Poëme sur Boece.
La
langue romane forma aussi son conditionnel avec le plus-que-parfait
latin, et d' amaveram, amaveras, amaverat, etc. vinrent
amera, ameras, amera, etc.
Futur.
Le conditionnel présent du verbe AVER, placé devant le participe
passé des autres verbes, forma le futur de leur conditionnel.
Impératif.
Soit
que la seconde personne de l' impératif des Latins eût été formée
en retranchant la terminaison RE du présent de l' infinitif, soit
que ce présent eût été formé lui-même par l' adjonction de RE à
cette seconde personne, la langue romane, imitant toujours la langue
latine, employa assez généralement, pour cette personne de l'
impératif, la suppression de l' R final de son infinitif.
Quelquefois
elle retrancha l' S final de la seconde personne du présent de l'
indicatif.
Les
Latins avaient de plus la terminaison ATO, ETO, ITO, pour désigner
la seconde personne de l' impératif, et ils n' employaient que cette
désinence pour la troisième personne.
Cet
exemple dirigea probablement la nouvelle langue, quand elle attribua
à cette troisième personne la terminaison de la seconde.
Les
trois personnes du pluriel subirent les modifications intérieures ou
finales qu' exigeait l' analogie.
Subjonctif.
D'
après les mêmes règles, le subjonctif des verbes en AR offrit AM
E, ES, E, EM, ETS, EN ou ON, venant d' amem, ames, amet, amemus,
ametis, ament.
3.e
Pers. du Pl. De part Boeci, lor manda tal raczo
Que PASSEN mar
garnit de contenco.
(1: De la part de Boece, il leur mande telle
raison
Qu' ils PASSENT la mer munis de guerre.
Celui
des verbes en ER ou en IR fut de même formé en A et IA, etc. venant
d' A m, IA m, etc.
1.ere
Pers. Que zo esperen que FAZA a lor talen...
Non
ai que PRENGA ne no posg re donar...
3.e
Pers. No potden tan e lor cor cobeetar
(2: Que cela ils espèrent
que je FASSE à leur volonté...
Je n' ai rien que je PRENNE ni
ne puis rien donner...
Ils ne peuvent tant en leurs cœurs
convoiter...
Poëme
sur Boece.)
Qu'
ella de tot no VEA lor pessar. (1: Qu' elle de tout ne VOIE leurs
pensers." Poëme sur Boece.)
La
formation de l' imparfait du subjonctif offre une circonstance qui
mérite d' être remarquée.
L'
emploi auxiliaire de l' imparfait de l' indicatif du verbe AVER,
placé devant le participe passé, composait le plus-que-parfait de
l' indicatif roman.
Le
plus-que-parfait latin, modifié à la manière accoutumée, avait
servi au conditionnel; d' amaveram était venu AMERA, AMERIA, etc.
De
semblables moyens furent mis en usage pour le subjonctif.
Le
parfait et le plus-que-parfait ayant été formés par l' emploi
auxiliaire du présent et de l' imparfait du subjonctif du verbe
AVER, placé devant le participe passé, la nouvelle langue fit son
imparfait en modifiant le plus-que-parfait latin dont elle ne se
servait pas.
L'
- AVI du prétérit simple latin avait produit EI; cet EI fut changé
en E quand il ne fut plus la finale caractéristique du prétérit
simple; cette modification autorisée par la prononciation, avait
déja été pratiquée dans les autres personnes du prétérit de l'
indicatif.
L'
imparfait roman fut ainsi modifié du plus-que-parfait latin.
Lat. Amavissem,
amavisses, amavisset
Rom. Ames, amesses, ames
Lat.
Amavissemus, amavissetis, amavissent
Rom. Amessem, amessets,
amessen ou amesson.
Les
verbes en AR et en ER ou RE firent à l' imparfait du subjonctif ES,
ESSES, etc., et les verbes en IR firent is, ISSES, etc.
2.e
Pers. “Tolre volguesses.” (1: "Oter tu VOULUSSES."
Actes de 960, MS. de Colbert. - N. E. Oter = oster)
3.e
Pers. Hanc no fo om ta grant vertut agues
Que sapiencia
compenre pogues...
3.e
Pers. Pl. Creessen Deu qui sostenc passio.
(2: Oncques ne fut
homme, tant grande vertu il EUT
Qui la sagesse comprendre PUT...
Qu'
ils CRUSSENT Dieu qui soutint passion.)
3.e
Pers. Hanc no vist omne, ta gran onor AGUES...
Sos
corps ni s' amna miga per ren GUARIS.
(3: Oncques ne vites homme,
tant grande dignité il EUT...
Que son corps ni son âme mie pour
rien GUÉRIT.)
Modes
et temps du passif.
Pour
former les passifs, la langue romane combina les divers temps et les
divers modes des verbes ESSER et ESTAR avec le participe passé de l'
autre verbe.
Ce
participe, employé comme adjectif verbal, resta soumis aux règles
imposées aux autres adjectifs.
Qual
sun li auzil qui SUN al T MONTAT?...
D'
una donzella FO lainz VISITAZ. (4: Quels sont les oiseaux qui SONT
jusqu'au T MONTÉS?...
D' une demoiselle il FUT là dedans
VISITÉ. Poëme sur Boece.)
(N. E. lainz : chap. allá dins)
On
aura remarqué avec un juste étonnnement que les diverses
modifications imposées aux temps et aux modes des verbes latins,
furent déterminées par des principes non moins réguliers, non
moins constants, quoique plus compliqués en apparence, que les
modifications caractéristiques des noms substantifs et adjectifs.
Mais
peut-on ne pas admirer cette ressource aussi simple qu' ingénieuse,
que la langue romane a trouvée et perfectionnée tout-à-coup, cet
emploi habile et heureux des deux verbes auxiliaires AVOIR et ÊTRE?
Avec
le premier, elle conjugua la plupart des temps de l' actif.
Avec
le second, elle conjugua tous ceux du passif.
Verbes
auxiliaires AVER, et ESSER ou ESTAR.
AVER,
du latin habere.
Ce
verbe AVER offre dans la langue romane quelques modifications
inusitées.
Je
crois nécessaire d' expliquer les plus remarquables. Tandis qu'
habemus, habetis ont produit Avem, Avets, on peut s' étonner que
habeo, habes, habet, aient été remplacés par AI, AS, A, et habui
par AIG, etc., et que la consonne G ait dominé dans plusieurs temps,
et notamment dans le participe passé AGUT.
Pour
expliquer ces anomalies, j' observerai que les Goths avaient deux
manières d' exprimer AVOIR; c' étaient les verbes HABAN et AIGAN.
(1)
(N.
E. En alemán actual, haben: ich habe, du hast, hat, haben, habt,
haben; sein: ich bin, bist, ist, sind, seid, sind.)
(1) Dans la
langue gothique, le substantif Aigins signifie l' Avoir, la
propriété:
Saei
ni afquithith allamma Aigina seinamma.
Qui
non renunciat omni PROPRIO SUO
Ulfilas.
Luc, cap. 14, v. 33.
Le verbe AIGAN faisait au participe présent
AIGANDS.
(2: Thanuh naunthanuh ainana sunu Aigands liubana sis.
Tunc
adhuc unum filium Habens carum sibi.)
Ulfilas. Marc. cap. 12, v.
6.
La première personne du présent de l' indicatif était au
singulier AIH
(3: Jah anthara lamba AIH. Et alias oves Habeo.
Ulfilas. Joh. Cap. 10, v. 16.), et au pluriel AIGUM (4: Attan Aigum
Abraham. Patrem Habemus Abraham. Ulfilas. Luc, cap. 3, v. 8.). (N. E.
Attan se parece mucho al vasco aita, y a abun, aikano –
padrenuestro en arameo - abbas, etc.)
Il
est vraisemblable que ces formes du verbe gothique AIGAN ont
introduit dans la langue romane, et le présent de l' indicatif AI,
AS, A, et les autres temps où le G domine, tels que le parfait de l'
indicatif AIG, etc., l' imparfait du subjonctif AGUES, etc., et le
participe passé AGUT.
Exemples
de l' emploi ancien du verbe AVER, soit comme verbe actif, soit comme
auxiliaire.
Infinitif.
Del fiel Deu no volg AVER amig. (5: “Du vrai Dieu il ne voulut
AVOIR l' ami." Poëme sur Boece.
Le
participe AVENT d' habentem se trouve dans un passage latin d' un
titre de 816: “AVENT in longo pertigas quatordice." Muratori,
Dissert. 32.
Indicatif.
Non
AI que prenga ne no posg re donar...
Ab
la donzella pois AN molt gran amor...
Quant
e la carcer AVIA 'l cor dolent...
De
tota Roma l' emperi AIG a mandar...
Coms
fo de Roma e AC ta gran valor...
O
es eferms o A afan AGUT. (1:
Je n' AI que je prenne ni ne puis
rien donner...
Avec
la demoiselle puis ONT très grande amour...
Quant
en la prison il AVAIT le cœur triste...
De
toute Rome l' empire j' EUS à commander...
Comte
fut de Rome, et il EUT tant grande valeur...
Ou
il est infirme, ou il a chagrin EU. Poëme sur Boece.)
“Non
AUREI (2)... Non AURA (3)... Non AURAN (4).
(2:
"Je n' AURAI." Actes de 960, MS. de Colbert.)
(3: "Il
n' AURA." An 985. Hist. de Languedoc, preuves, t. 2.)
(4:
“Ils n' AURONT." Actes de 960, MS. de Colbert.)
Conditionnel.
Per lui AVRIEN trastut redemcio...
Subjonctif.
Hanc no fo om ta gran vertut Agues.
(5: Par lui ils AURAIENT
trèstous redemption.
Oncques
ne fut homme tant grande vertu il EUT.
Poëme
sur Boece.)
ESSER
ou ESTAR, d' ESSE et de STARE.
Ce
verbe ÊTRE si utile, qui, dans toutes les langues, sert de lien pour
attacher aux noms leurs qualités ou leurs modifications, qui, lors
même qu' il n' est pas exprimé, n' en est pas moins sous-entendu
entre tout substantif et tout adjectif qui se rapportent l' un à l'
autre; enfin, ce verbe qui a été nommé le verbe SUBSTANTIF, le
verbe PAR EXCELLENCE, parce qu' il pourrait suppléer à l' absence
de tous les autres, est lui-même très irrégulier, ou, pour mieux
dire, il n' existe que dans certains temps.
Sans
chercher des exemples dans les langues antérieures à la langue
latine, et notamment dans la langue grecque, où le verbe *gr est
irrégulier, examinons la langue latine.
D'
abord, il est remarquable que ESSE n' ait point de participe passé.
Si
l' on peut regarder SUM, première personne, et ES, seconde personne,
comme appartenant originairement au même verbe, et ayant produit
ERAM, imparfait, et ERO, futur, il est incontestable que FUI et tous
les temps qui se composent de l' adjonction d' ERAM et d' ERO, ont FU
pour racine, et qu' ils appartiennent à un verbe de toute autre
origine, au verbe latin FUO, emprunté du grec *gr, et servant à
désigner l' existence, la naissance, la croissance.
Quand
la langue romane a conservé de la latine l' auxiliaire ESSE, elle y
a ajouté l' R qui marque le présent de tous les infinitifs romans
soit comme final, soit comme pénultième; caractère qui existait
dans les verbes de la langue latine, hors le verbe ESSE et ses
composés, et un petit nombre d' autres verbes irréguliers, et qui
est général et invariable dans la langue romane, et dans celles qui
en ont été la continuation.
Le
verbe latin ESSE ne fournissant point de participe passé à la
langue romane, celle-ci eut recours à un autre verbe.
De
STARE, infinitif latin, elle forma ESTAR, d' où elle tira le
participe passé ESTAT.
La
langue romane employa concurremment les deux verbes auxiliaires ESSER
et ESTAR.
Les
divers modes et les divers temps d' ESTAR furent réguliers.
Ceux
d' ESSER furent pareillement formés d' après l' analogie, à
quelques exceptions près. La plus remarquable fut qu' en formant le
futur par l' adjonction du présent de l' indicatif au présent de l'
infinitif, ce présent ESSER perdit les initiales ES, ce qui
produisit SER AI, SER AS, SER A.
Exemples
du VERBE ESSER ou ESTAR.
Infinitif.
Tu m fezist e gran riqueza STAR...
Indicatif.
O ES eferms o a afan agut...
E
cum ES velz, donc ESTAI bonament...
Nos
jove omne quandius que nos ESTAM...
Eps
li Satan SON en so mandament...
Eps
li omne qui SUN ultra la mar...
En
cui merce tuit peccador ESTANT...
(1: Tu me fis en grande
puissance ÊTRE...
Ou
il EST infirme ou il a chagrin eu...
Et
comme il EST vieux, alors il EST bonnement...
Nous
jeunes hommes si long-temps que nous SOMMES...
Mêmes
les Satans SONT en son commandement...
Mêmes
les hommes qui SONT outre la mer...
En
de qui merci tous pécheurs SONT... Poëme sur Boece.
Indicatif.
El ERA 'l meler de tota la onor...
De
sapiencia no FO trop nuallos...
Enfans,
en dies FOREN ome fello...
Lai
FO Boecis e FOREN i soi par. (1:
Il ÉTAIT le meilleur de toute la
dignité...
De
sagesse ne FUT trop négligent...
Enfans,
en temps FURENT hommes fellons...
Là
FUT Boece, et FURENT y ses pairs. Poëme sur Boece.)
“Vos
en SEREI... Recredent non SERA... Vos en SEREM... Lor en SERAN."
(2: "Je vous en SERAI... Abandonnant ne SERA... Vous en
SERONS... Leur en SERONT..." An 960. Ms. de Colbert.)
Subjonctif.
"En
SIA, en SIAN...” (3: "En SOIT, en SOIENT..." An 985.
Hist. du Languedoc, Pr. t. 2.)
Ja
no es obs fox i SSIA alumnaz...
Que
el zo pensa vel SIEN amosit. (4)
Que
en FOSSEZ." (5)
(4) Jamais n' est besoin que le feu y SOIT
alumé...
Que
il cela pense que les voiles SOIENT peints.
Poëme
sur Boece.
(5) "Que vous en FUSSIEZ." Actes de 960, MS.
de Colbert.
L'
emploi continu et obligé de ces deux verbes auxiliaires rendit très
faciles les conjugaisons de la langue romane. Ils suffisaient à la
formation de presque tous les temps; et, dans ceux mêmes qui
semblent conjugués sans leur secours, on peut aisément les
discerner encore.
J'
ai précédemment observé que le futur de l' indicatif et le présent
du conditionnel avaient été formés par l' adjonction du présent
de l' indicatif du verbe AVER, ou de la finale de son imparfait, au
présent de l' infinitif des verbes.
Cette
manière très remarquable de composer ces temps offre une
circonstance qui l' est également, et qui constate toujours plus
évidemment l' identité de la langue romane et des autres langues de
l' Europe latine.
Dans
toutes ces langues, le futur de l' indicatif est formé comme dans la
langue romane, ainsi que le démontre le tableau suivant:
(N. E.
pongo tildes en el castellano o español)
Français Espagnol Portugais Italien
Aimerai amaré amarei amero (1)
(1: L' ancien italien
disait amaro et
sero.)
Aimeras amarás amaras amarai
Amara amará amara amara
Avons hemos havemos habbiemo
Avez habéis haveis havete
Ont han ano anno
En
appliquant le même procédé au verbe ESSER, dont la langue romane
et les autres n' ont pris que SER, elles offrent
pareillement:
Romane Français Espagnol Portugais Italien
Serai serai seré serei saro
Seras seras serás seras serai
Sera
sera será sera sera
Serem serons seremos seremos seremo
Serets serez seréis sereis serete
Seran seront serán serano seranno
Enfin
le verbe HAVER lui-même, dans les cinq langues, compose son futur
par ce rapprochement de son infinitif avec le présent de son
indicatif:
Romane. Aurai,
auras, aura, aurem, aurets, auran.
Français. Aurai, auras, aura,
aurons, aurez, auront.
Espagnol. Habré, habrás, habrá,
habremos, habréis, habrán.
Portugais. Haverei, haveras, havera,
haveremos, havereis, haverano.
Italien. Avro, avrai, avra, avremo,
avrete, avranno.
On
demandera peut-être si l' exemple de quelque langue plus ancienne ne
fournit pas à la langue romane le moyen facile d' abréger et de
simplifier les règles des conjugaisons, par cet emploi des verbes
auxiliaires ÊTRE et AVOIR.
Je
répondrai que les langues du nord de l' Europe, dont il nous est
parvenu des monuments plus anciens que ceux que nous possédons de l'
idiôme roman, faisaient usage d' auxiliaires, soit pour l' actif,
soit pour le passif de leurs verbes ordinaires.
Mais
plusieurs considérations permettent de douter que l' exemple de ces
langues ait influé directement sur l' emploi des auxiliaires AVER et
ESSER dans l' idiôme roman.
1.°
ÊTRE et AVOIR n' étaient pas les seuls auxiliaires dont ces langues
se servissent; elles avaient aussi Devenir, Pouvoir, Vouloir, Devoir,
etc., et quelquefois elles combinaient ensemble deux et même trois
de ces auxiliaires; complication de moyens très éloignée de la
simplicité de ceux qu' employa la nouvelle langue.
2.°
La manière ingénieuse dont elle combina l' emploi de son verbe
AVER, pour agir sur les autres verbes et sur lui-même, offre, dans
cet auxiliaire, un caractère particulier, qui distingue
essentiellement l' usage qu' elle en fit, de l' usage qu' en
faisaient les anciennes langues du nord.
3.°
Enfin nous savons que la langue latine indiquait à la nouvelle
langue l' emploi du verbe HABERE comme auxiliaire.
Il
est vraisemblable que les exemples de la langue latine suffirent à
la nouvelle langue:
Exemples
du verbe Habere, employé comme auxiliaire dans la langue latine.
"Domitas
habere libidines." Cic. de Orat. I, cap. 43.
“Cum
destinatum haberet mutare testamentum."
L.
tres tutores. D. de Adm. et per. tut.
“De
Cæsare satis hoc tempore dictum habebo." Cic. 5 Philip. 28.
“Si
habes jam statutum quid tibi agendum putes.” Cic. Fam. 4, ep.
2.
Quo pacto me habueris praepositum amori tuo. Ter. Hec. Act. 4,
sc. 2, v. 7.
“Aut nondum eum satis habes cognitum.” Cic. Fam
13, ep. 17.
...Quæ
nos nostramque adolescentiam habent despicatam.
Ter.
Eun. act. 2, sc. 3, v. 91.
“Nimium
sæpe expertum habemus." Planc. ad Cic. fam. 10, ep. 24.
Etc.
etc.
L'
époque de la basse latinité fournit aussi des exemples. (1:
Peut-être la plupart de ces locutions étaient-elles en usage, dans
la langue latine corrompue, par l' effet de la réaction de la langue
romane vulgaire sur la langue latine elle-même.
"Te per
voluntate parentum tuorum habui desponsatam... Si te desponsatam
habuissem." Formul. Marculf. lib. 2, n.° 16.
“Omnes
res quas ipsi monachi habebant cum ipsis chartis deportatas."
Dipl. Clotaire III.
“Multi
se complangunt legem non habere conservatam." An 793. Capit.
Pipini.
"Ipso
theloneo... Et quomodo suprà memorati reges et imperatores in
luminaribus ecclesiæ sancti Victoris vel ei servientibus collatum
habebant.” Gallia Christiana, Eccl. Massil. t. IV, p. 107.
Quant
à l' auxiliaire ESSER, il est évident que la nouvelle langue fut
redevable de cette forme grammaticale à la langue latine, qui l'
employait dans plusieurs des temps de son passif.
Si
les anciennes langues du nord ont aussi fait usage du verbe ÊTRE
pour conjuguer leur passif, je remarque qu' elles ont eu une autre
manière d' indiquer des modes et des temps de ce passif, sans le
secours d' aucun auxiliaire.
Tout
permet donc de croire qu' en adoptant les deux verbes AVER et ESSER,
pour les employer, comme auxiliaires, à simplifier ses conjugaisons,
l' idiôme roman ne fit que s' approprier et rendre plus générales
deux formes particulières de la langue latine, qui lui en avait déja
fourni tant d' autres.
Du
verbe Anar employé auxiliairement.
La
langue romane fit usage de ce verbe comme auxiliaire, et elle plaça
ou devant le participe indécliné en AN ou en EN, formé par la
suppression de la terminaison DO caractéristique de l' un des
gérondifs latins, ou devant l' infinitif.
Cum
el es velz, vai s' onors Descaptan...
Trastota
dia vai la mort Reclaman...
Qui
tota ora sempre vai Chaden...
La
mi' amor tta mal van Deperden. (1:
Comme il est vieux, va son
honneur EN DIMINUANT...
Trèstout le jour il va la mort EN
RÉCLAMANT...
Qui
toute heure toujours va EN TOMBANT...
La
mienne amour si mal ils vont EN PERDANT.
Poëme sur Boece.)
Du
QUE entre les verbes.
La
langue grecque, par son *gr, avait donné l' exemple d' employer un
relatif indéclinable, pour transporter l' action d' un verbe à un
autre verbe.
La
langue latine employa quelquefois, de la même manière, ses QUOD et
QUIA.
Les
Goths avaient Thatei (2), et les Francs Dhazs et That (3).
(2)
Quethun Thatei sa ist bi sunjai praufetus.
Dixerunt
Quod hic est in veritate propheta.
Ulfilas
Joh. cap. 6, v. 14.
(3)
Dhanne ist nu chichundit Dhazs fona dhemu almahtigin fater dhurah
Tunc
est nunc probatum Quod ab illo omnipotente patre
ab inam ist al
uuordan.
illo
est omne factum.
Frag.
de trad. en francique d' Isidore de Séville. Litt. des Francs, p.
109.
Than
uuitum liudio harn THAT than is san aftar thiu sumer.
Tunc
sciunt hominum filii Quod tunc est statim post illa æstas.
Paraph.
Franciq. des Évangil. c. 41. Litt. des Francs, p. 181.
Le
QUE indéclinable de la langue romane servit au même usage:
No
cuid QU' e Roma om de so saber fos...
Que
zo esperen QUE faza a lor talen. (1)
Et
elle le plaçait après les adjectifs employés neutralement avec le
verbe ESSER:
Drez
es e bes QUE l' om e Deu s' esper,
Mas non es bes QUE s fi' e son
aver. (2)
Quelquefois même ce QUE fut sous-entendu:
No
cuid... aprob altre dols li demor. (3)
Et
même avec les noms joints au verbe ESSER:
Ja
no es obs... fox i ssia alumnaz. (4)
(1)
Je ne pense QUE en Rome homme de son savoir fut...
Qui cela
espèrent QUE je fasse à leur volonté.
(2)
Droit est et bien que l' homme en Dieu se espère,
Mais n' est
bien QUE il se fie en son avoir.
(3)
Je ne pense qu' auprès autre douleur lui demeure.
(4)
Jamais n' est besoin que feu y soit alumé.
Poëme
sur Boece.
Prépositions,
Adverbes, Conjonctions.
La
langue romane leur appliqua des modifications semblables à celles
qui avaient été appliquées aux autres parties du discours.
Elle
plaça quelquefois AD, A, DE, au-devant des prépositions et des
adverbes qu' elle empruntait de la langue latine.
Le
même mot devint tour-à-tour préposition, adverbe, ou conjonction,
selon qu' il était employé avec un régime, ou d' une manière
absolue, ou qu' il était suivi d' un QUE.
Prépositions
trouvées dans les fragments antérieurs a l' an 1000.
A
venant d' AD, et ayant la même signification:
“T'
o atendrai tot A te... Que A dreit aure ov A merce." (1)
AB
signifiant AVEC:
"AB
Ludher nul plaid nunquam prindrai." (2)
"AB
ti et senes ti." (3)
Ella
AB Boeci parlet ta dolzament. (4)
Prope
produisit PROB, près, APROB, APRÈS:
APROB
Mallio lo rei emperador. (5)
“Sed
ponent illum APRES de Alcaide.” An 734. Ord. d' Alboacem.
DE
signifiant DE, DÈS:
"D'
ist di in avant... DE suo part." (6)
“Adjutor
t' en sere e DE l' adjutor no t' engenare." (7)
Zo
sun tuit omne qui DE joven sun bo. (8)
(1)
"Je te le maintiendrai tout à toi... Que à droit j' aurai ou a
merci." Actes de 960, Ms. de Colbert.
(2)
"AVEC Lothaire aucun traité ne oncques prendrai." Serment
de 842. (3) "AVEC toi et sans toi." Actes de 960, Ms. de
Colbert.
(4)
Elle AVEC Boece parla tant doucement.
(5)
AUPRÈS de Mallius le roi empereur. Poëme sur Boece.
(6) “DE ce
jour en avant... DE sa part.” Serment de 842.
(7)
“Aide je t' en serai et DE l' aide je ne te tromperai." Actes
de 960, MS. de Colbert.
(8)
Ce sont tous hommes qui Dès jeunesse sont bons.
Poëme
sur Boece.
DAVAN,
DEVANT vinrent de DE AB ANTE:
DAVAN
SO vis nulz om no s pot celar...
No
s pot rascundre nuls om DEVANT SO vis. (1)
IN fournit d'
abord sans changement IN, et ensuite EN, et, par la suppression de l'
n final, E:
“Et
IN adjudha et IN cadhuna cosa." (2)
Ki
l mort et vius tot a IN jutjament...
Fe
vos Boeci cadegut EN afan...
E
te m soli' eu a toz dias fiar. (3)
ENTRE
dérivé d' INTER:
Ta
bo essemple en laiset ENTRE nos. (4)
PER
signifia PAR et POUR:
PAR:
PER lui aurien trastut redemcio...
Anz
PER eveia lo mesdren e preiso.
POUR:
PER zo no 'l volg Boecis a senor. (5)
Sines,
senes, Sens, Ses, vinrent de SINE:
“Ab
ti et SENES ti... E vos atendrei tot SENES engan." (6)
SES
Deu licencia ja no faran torment. (7)
(1)
DEVANT son regard nul homme ne se peut celer...
Ne
se peut cacher nul homme DEVANT son regard.
Poëme
sur Boece.
(2)
“Et EN aide et EN chacune chose." Serment de 842.
(3)
Qui les morts et les vivants tout a EN jugement...
Voici
Boece tombé EN chagrin...
EN
toi me avais-je coutume à tous jours fier.
(4) Tant bon exemple
en laissa Entre nous.
(5) PAR lui auraient trèstous
redemption...
Mais
PAR envie le mirent en prison...
Pour cela ne le voulut Boece à
seigneur.
Poëme sur Boece.
(6)
"Avec toi et SANS toi... Et vous maintiendrai tout SANS fraude."
Actes de 960, Ms. de Colbert.
(7)
"SANS de Dieu la licence jamais ne fairont tourment." Poëme
sur Boece.
SOBRE
de SUPER:
SOBRE
la schapla escrit avia un tei grezesc. (1)
ULTRA conserva sa
latinité sans modification:
Ne
eps li omne qui sun ULTRA la mar...
Qu' el trametia los breus
ULTRA la mar. (2)
Versus,
Vers, en VERS, VAS:
Pur
l' una fremna qui VERT la terra pent...
Et
EVERS Deu era tot sos afix...
Et
EVERS Deu no torna so talant. (3)
Dans un titre de 960, on lit:
“DE
VAS meridie, DE VAS oriente”. (4)
Adverbes.
Les
adverbes furent soumis à deux formes principales: Par la première,
on supprimait les finales des adverbes latins, et quelquefois des
lettres et sur-tout des voyelles intérieures:
APROB
de PROPE, en y joignant la préposition a:
No
cuid APROB altre dols li demor. (5)
ALTRESI
d' ALTER et de SIC, autre même, pareillement:
“In
o quid il mi ALTRESI fazet.” (6)
(1)
Sur le manteau écrit avait un T grec.
(2) Ni même les hommes qui
sont OUTRE la mer...
Qu' il transmettait les lettres OUTRE de la
mer.
(3)
Pourtant une frange qui VERS la terre pend...
Et ENVERS Dieu
était tout son attachement...
Et ENVERS Dieu ne tourne sa
volonté.
Poëme
sur Boece.
(4)
"DEVERS midi, DEVERS orient." Gall. Christ. t. I.
(5)
"Je ne pense qu' AUPRÈS une autre douleur lui demeure."
Poëme sur Boece.
(6)
"En cela que il me PAREILLEMENT faira." Serment de 842.
AVAL,
de Vallis (VALlis), vallée, bas:
Alquant
s' en tornen AVAL arrenso. (1)
AVANT
d' AB ANTE:
“D'
ist di en AVANT." (2)
Une
charte de 632 porte:
“Quidquid
ibidem ABANTEA possidemus.” Dipl. Chart. t. I, p. 141.
BEN
de BENE:
Qui
e la scala ta BEN an lor degras. (3)
DEREER
(: derrer) vint de RETRO en ajoutant la préposition DE:
Qui
lui laudaven dereer euz dias antix. (4)
DUNC,
DONC, de TUNC, par le changement du T en D:
E
DUNC apel la mort ta dolzament...
E
cum es velz, DONC estai bonament. (5)
FORS de Foris:
“Fors
quant tu m' en absolveras.” (6)
FORT de Fortè:
Molt FORT
blasmava Boecis sos amigs. (7)
I
d' IBI fut adverbe de lieu, et devint adverbe pronominal, en y
joignant LA et SA d' illa ibi, d' ipsa ibi:
LAI
fo Boecis e foren I soi par. (8) (I : hi : hy)
(1)
Quelques-uns s' en retournent A BAS en arrière. Poëme sur Boece.
(2)
“De ce jour en AVANT." Serment de 842.
(3)
Qui en l' échelle tant BIEN ont leurs degrés.
(4)
Qui lui louaient DERRIÈRE aux jours antiques.
(5)
Et ALORS il appelle la mort si doucement...
Et
lorsqu' il est vieux, ALORS est bonnement.
Poëme
sur Boece.
(6)
“HORS quant tu m' en dispenseras.” Actes de 960, MS. de Colbert.
(7)
Beaucoup Fortement blâmait Boece ses amis.
(8) La fut Boece et
furent Y ses pairs. Poëme sur Boece.
LAI
O solien las altras leis jutjar,
LAI
veng lo reis sa felnia menar. (1)
Quelquefois
il perdit l' I final:
Aquel
qui LA non estai fermament. (2)
Le
pronom démonstratif AQUO, changeant son O en I, devint aussi adverbe
pronominal, et signifia Ici, Là:
Per
AQUI monten cent miri auzello. (3)
INZ
d' INTUS, LA INZ d' illa intus:
Lo
mas o intra INZ es gran claritat...
D'
una donzella fo LA INZ visitaz. (4)
JA
de Jam (: iam), avec la négation, signifia non bientôt, jamais:
Cel
no quatra JA per negun torment. (5)
MAL
de MALE:
La
mi' amor tta MAL van deperden. (6)
MENZ
de MINUS:
Quant
MENZ s' en guarda, no sap mot quant lo sprent. (7)
MOLT de Multùm:
MOLT
val lo bes que l' om fai e jovent. (8)
(1)
Là où ils avaient coutume les autres causes juger.
Là
vint le roi sa félonie mener.
(2)
Celui qui là n' est fermement.
(3)
Par ici montent cent mille oisillons.
(4)
La demeure où elle entre, AU DEDANS est grande clarté...
D' une
demoiselle il fut LA DEDANS visité.
(5)
Celui-là ne tombera BIENTÔT par aucun tourment.
(6)
La mienne amour tant MAL vont en perdant.
(7)
Quand MOINS s' en garde, il ne sait mot quand il le surprend.
(8)
Beaucoup vaut le bien que l' homme fait en jeunesse.
Poëme
sur Boece.
A
ORA, à l' heure, à présent:
Mal
ome foren, A ORA sunt pejor. (1)
PLUS
de PLUS:
Ella
se fez, anz avia PLUS de mil. (2)
POS, POIS, de POST signifia
PUIS, APRÈS:
Ab
la donzella POIS an molt gran amor. (3)
SATZ
de SATIS, et, avec la préposition A, ASATZ:
Qual
ora s vol, petita s fai ASAT. (4)
SEMPRE,
par la transposition d' une lettre, vint de SEMPER:
Que
tota ora SEMPRE vai chaden. (5)
SI
de SIC, Ainsi, devint un adverbe d' affirmation, et signifia
Assurément, Certainement:
“SI
o tenra... SI o tenrai e o atendrai." (6)
Fez
sos mes segre, SI 'ls fez metre en preso. (7)
IL
signifia aussi pareillement, de même:
Si
cum la nibles cobre 'l jorn lo be ma,
Si
cobre avers lo cor al xristia. (8)
(1)
Mauvais hommes furent, A présent ils sont pires.
(2)
Elle se fit, mais avait PLUS de mille.
(3)
Avec la demoiselle PUIS ils ont très grande amour.
(4)
A quelle heure elle veut, petite se fait assez.
(5)
Qui à toute heure Toujours va en tombant. Poëme sur Boece.
(6)
"Assurément cela il tiendra... Oui, cela je tiendrai, et cela
j' exécuterai." Actes de 960, MS. de Colbert.
(7)
Il fit ses messagers suivre, Assurément il les fit mettre en prison.
(8)
Ainsi comme le brouillard couvre le jour au bon matin,
DE
MÊME couvre richesse le cœur au chrétien. Poëme sur Boece.
L'
adjonction de la préposition A produisit ASI, AISI,
AESI:
No
s' es AESI cum anaven dicent. (1)
SOZ,
DESOZ, vinrent de subtus:
DESOZ
avia escript un pei grezesc. (2)
TAN,
TANT de tantùm, signifia Tant, Si, Tellement:
TA
bo essemple en laiset entre nos...
Eu
lo chastia TA be ab so sermo. (3)
Il
prend quelquefois le QUE après lui:
TANT
en retenc QUE de tot no fo blos. (4)
NE
TAN NE QUAM, locution adverbiale, Nullement, Rien:
Quant
se reguarda, non a NE TAN NE QUANT. (5)
TROP, dérivé peut-être
de troppus, mot de la basse latinité, signifiant troupeau, grande
quantité, troupe:
De sapiencia no fo TROP nuallos. (6)
U,
o, d' ubi, adverbe de lieu, OU:
Lai
o solien las altras leis jutjar. (7)
Unqua,
Nunqua, Anc, furent dérivés de Unquam, Nunquam:
Dis
que la bresa, mica NONQUA la te... (8)
(1)
Non il est AINSI Comme ils allaient disant.
(2)
DESSOUS avait écrit un P grec.
(3)
TANT bon exemple il en laissa entre nous...
Il l' enseigne TANT
bien avec son discours.
(4)
TANT il en retint que de tout il ne fut dépouillé.
(5)
Quand il se regarde, il n' a RIEN.
(6)
De sagesse il ne fut pas BEAUCOUP négligent.
(7)
Là ou ils avaient coutume les autres causes juger.
(8)
Il dit qu' il la prise, mie JAMAIS la tient. Poëme sur Boece.
Pero
Boeci ANC no venc e pesat...
HANC
no fo om, ta gran vertut agues.
(1: Pourtant à Boece ONC ne vint
en pensée...
ONC
ne fut homme, tant grande vertu il eût. Poëme sur Boece.)
La
seconde manière de former les adverbes fut très ingénieuse.
Les
Latins employaient, en locution adverbiale, l' ablatif absolu MENTE,
qu' ils joignaient à l' adjectif.
Cette
locution se trouve dans la plupart des bons auteurs.
"Bona
mente factum, ideoque palam: Mala, ideoque ex insidiis."
Quintilianus,
Inst. orat. lib. V, cap. 10.
...Ut
longi tœdia belli
Mente
ferant placida.
Ovidio
Met. 13, v. 214.
Tum
vero moestam tota miletida mente
Defecisse ferunt. Ovidio Met. 9,
v. 634.
Quale
id sit, quod amas, celeri circumspice mente.
Ovidio,
Remed. amor. 89.
Ultro
quin etiam devota mente tuentur.
Claud.
de Laud. Stil. lib. I, v. 232.
Etc.
etc.
Cette
forme grammaticale s' était conservée dans la basse latinité.
“Monasterium
puellarum devota mente decrevi fundare... Carmina devota mente
canuntur." An 670. Dipl. Chart. Etc. t. I.
“Concupiscit
iniqua mente.” Greg. Tur. De Mir. S. Jul. c. 20.
La
langue romane adoptant cette locution adverbiale, forma la plupart de
ses adverbes, en ajoutant à l' adjectif la finale MENT.
Exemples
des adverbes romans en MENT.
"Ne
lo l' en decebra ne MALAMENT." (1)
Le
poëme sur Boece offre les adverbes suivants:
Bonament,
dolzament, epsament, fermament, forment (: fortment), malament,
perfeitament (: perfectament).
C'est
un phénomène grammatical très remarquable que la manière dont la
langue romane opéra, lorsqu' elle eut plusieurs adverbes en MENT à
la suite les uns des autres.
Cette
finale MENT, au lieu de s' attacher à chaque adjectif, pour lui
imprimer le caractère adverbial, ne se place qu' après le dernier,
et quelquefois même qu' après le premier.
Et
cette forme originale existe non-seulement dans la langue romane,
mais encore dans toutes celles qui en ont été la continuation; il
est même remarquable que, dans une charte de l' an 651, on trouve:
"Viva
mente et sana et corpore et voluntate liberâ donamus domino."
Dipl. Chart. n.° 127, t. I.
Langue
Romane.
“Parlem abdui planamen e suav (: suau)." (2)
Rambaud
de Vaqueiras. Non puesc saber.
"E
dix li que, de so que elh disia, mentia aulhment e falsa e delialh
per la gola." (3)
(1) "Ne le lui en trompera ni
méchamment." Acte de 960, MS. de Colbert.
(2)
“Parlons tous deux franchement et douce...”
(3)
"Et lui dit que, de ce qu' il disait, il mentait vilement et
fausse... et déloyale... Par la gorge." Philomena, p. 118.
“Aymo
fe o largаment et allegra (1)... Pregar humilment e devota
(2)..."
(1) "Aymon fit cela généreusement et
joyeuse..." Philomena, p. 66.
(2)
"Prier humblement et dévote..." Philomena, p. 132.
Langue
Française.
Cil
chantent hautement e cler.
Fabliau
de la Court de Paradis.
Garins
apelle lou paien en plorant;
Il
li ait dit souef e bellement.
Roman
de Guillaume au court nez.
Que
vos faciez cest jugement
Bien
et adroit et leaument.
Fabliau
du Bouchier d' Abeville.
Langue
Espagnole.
Al
rumor que sonava
Del agua que passava,
Se quexava tan dulce y
blandamente.
Garcilaso de la Vega, égloga 1.
“Dorotea
que vio quan corta y sutilmente estava vestido.”
D.
Quixot. p. I, lib. 4, ch. 35.
Langue
Portugaise.
Alma gentil, que a firme eternidade
Subiste
clara e valerosаmente.
Camoens,
Rhythmas, part. I, 229.
"Pelejarão
tão valente e denodadamente.”
De
Souza. Vida de D. Fr. B. dos Martyres, liv. 2, ch. 11 (ou 2).
Langue
Italienne.
Une
lettre de l' académie de La Crusca, adressée à Gilles Ménage,
atteste et cette forme grammaticale, et son application à la langue
italienne:
"Lo
cavaliere fece la demanda sua ad Alessandro umile e dolcemente."
Novelle
Antiche, n° 3.
Cette
forme est remarquable lorsque des traducteurs s' en servent pour
rendre plusieurs adjectifs de la langue originale. Ainsi La Casa,
dans sa traduction des Offices de Cicéron, rend ce passage:
“Placidè
tranquillèque fruerentur” Cic. De Off. Lib. 3.
par ces
mots:
“Tranquilla e pacifica mente godere.”
Conjonctions
et négations.
D' ET latin vinrent ET, E romans.
Cette
suppression du T se trouve dans des monuments très anciens.
Alboacem,
fils de Mahomet Alhamar, fils de Tarif, régnait à Coimbre en l' an
734: il publia en latin une ordonnance dans laquelle se trouvent
plusieurs indices de la langue romane, et, entre autres, l' E pour l'
ET.
“Quoniam
nos constituit Allah Illalah super gentem Nazarat E fecit me
dominatorem Colimb... Monasterium de Montanis qui dicitur Laurbano
non PECHE nullo pesante, quoniam bona intentione monstrant mihi loca
de suis venatis, E faciunt Sarracenis bona acolhenza."
Historias
de Idacio, p. 88 et 89.
"Vos
o tendrei E vos o atendrei tot senes engan... Tu m' en comonras E del
comoniment no m' en vedarei... E si o tendrai E si o atendrai a ti."
(1: "Vous le tiendrai ET vous le maintiendrai tout sans
tromperie...
Tu m' en avertiras ET de l' avertissement je ne me
défendrai... ET assurément je le tiendrai, ET assurément je le
maintiendrai à toi." Actes de 960, MS. de Colbert.
E
cum sun vell, esdevenen fello
E
fan perjuris E grans traicios. (1)
D'
Aut latin, par la suppression du T final, vint AU, que la nouvelle
langue écrivit O, OU:
Qui
la l tolra o la l devedara, li tolran o la l devedaran... Qui las te
tod ou las te tola." (2)
L'
om ve u ome quaitiu e dolent;
O
es malaptes o altre pres lo ten,
O
es eferms o a afan agut. (3)
Non,
Nec, fournirent NON, NUN, NO, NE, NI:
"Si
jo returnar NON l' int pois, NE jo NE neuls cui eo returnar int pois,
in nulla ajudha contra Lodhuwig Nun li iver. (4)
"No'
l vos tolrem NI vos en tolrem... No l' en tolra NE NO las li
devedara, NE NO l' en decebra... Non aure NE NON tenre.” (5)
(1)
ET lorsqu' ils sont vieux, ils deviennent fellons
ET
font parjures ET grandes trahisons.
Poëme
sur Boece.
(2)
“Qui la lui ôtera ou la lui défendra; lui ôteront ou la lui
défendront... Qui te les ôte ou te les veuille ôter." Actes
de 960, MS. de Colbert.
(3)
L' on voit un homme chétif et dolent;
Ou
il est malade ou autre chose pris le tient,
Ou
il est infirme ou il a chagrin eu. Poëme sur Boece.
(4)
“Si je détourner NE l' en puis, NI moi NI aucun que je détourner
en puisse, en nulle aide contre Louis NON lui irai." Serment de
842.
(5)
"Non le vous ôterons NI vous en ôterons... Non l' en ôtera NI
NE les lui prohibera, NI NE l' en trompera... NON aurai NI NE
tiendrai." Actes de 960, MS. de Colbert.
Que
tant i pessa qu' el al No fara ja...
NON
a aver NI amic NI parent. (1)
Aux
négations ordinaires, la langue romane joignit des négations
explétives. Voici celles qui se trouvent dans les pièces de l'
époque qui fournit mes exemples.
Mica,
Miga, Mia, du latin Mica, en français Mie:
L'
om l' a al ma, MIGA NO l' a al ser...
Quant
o fait, MICA NO s' en repent. (2)
Gens,
Ges du latin Gens, dans le sens de Personne, de Quelqu'un.
NI
GENS de lui NO volg tenir s' onor...
D'
aur NO sun GES, mas nuallor no sun. (3)
Res,
Ren, du latin Res, Rem, signifiant Quelque Chose:
Quan
se reguarda, pero RES NO l rema. (4)
On
verra, dans la suite de cet ouvrage, les autres négations explétives
dont la langue romane fit usage.
Mais, Mas, Mes, vinrent de Magis
latin, en ôtant le G et l' I, ou seulement le G.
Dres
es e bes que l' om e deu s' esper,
MAS
no es bes que s fi' e son aver... (5)
(1)
Que tant y pense que lui autre chose NE faira jamais...
NON a
avoir NI ami NI parent.
(2)
L' on l' a au matin, MIE NE l' a au soir...
Quand
cela il fait, MIE NE s' en repent.
(3)
NI NULLEMENT de lui ne voulut tenir sa dignité...
D'
or NE sont NULLEMENT, mais moins valants ne sont.
(4)
Quant il se regarde pourtant RIEN NE lui reste.
(5) Droit est et
bien que l' homme en Dieu espère,
MAIS
non est bien qu' il se fie en son avoir. Poëme sur Boece.
MAS
quan es joves et a onor molt grant...
MAS
d' una causa u nom avia gensor. (1)
ANZ,
que le français rendit par AINZ, dans le sens de MAIS, vint d' ANTE,
signifiant AU CONTRAIRE:
ANZ
per eveia lo mesdren e preiso. (2)
QUANT,
QUAN furent dérivés de QUANDO:
“E
t' o atendrei tot, fors QUANT tu m' en absolveras." (3)
QUANT
be se dreca, lo cel a pertusat...
QUAN
Ve a l' ora qu' el corps li vai franen. (4)
De
CUM latin, CUM, COM fut employé quelquefois sans changement dans le
sens de LORSQUE:
Molt
val lo bes que l' om fai e jovent,
COM
el es vels, qui pois lo soste...
E
CUM es velz, donc estai bonament. (5)
CUM,
dans la langue romane, eut aussi l' acception de COMME, et il fut
vraisemblablement dérivé de QUOMODO.
La inz contava del
temporal CUM es,
De
sol e luna, cel e terra, mar, CUM es...
No
s' es aesi CUM anaven dicent. (6)
(1)
MAIS quand il est jeune et a honneur très grand...
MAIS, par une
raison, un nom il avait plus agréable.
(2)
AINZ par envie le mirent en prison. Poëme sur Boece.
(3)
"Et je te le acquitterai tout, hors QUAND tu m' en dispenseras."
Actes de 960, Ms. de Colbert.
(4)
QUAND elle bien se dresse, le ciel elle a percé.
QUAND
il vient à l' heure que le corps lui va en se brisant.
(5)
Beaucoup vaut le bien que l' homme fait en jeunesse,
(QUAND il
est vieux) qui puis le soutient.
Et
QUAND il est vieux, alors il est bonnement.
(6)
Là dedans il contait du temporel comme il est,
Du
soleil et de la lune, du ciel et de la terre, mer, COMME est...
Non
il est ainsi COMME ils allaient disant. Poëme sur Boece.
De
SIC QUOMODO ou de SICUT vint SICUM, pour DE MÊME QUE:
“SICUM
om per dreit son fradre salvar dist.” (1)
SICUM
la nibles cobr' el jorn lo be ma. (2)
TANQUAN
de TANTUM QUANTUM, ou de TANQUAM, signifia TANT QUE, etc.
Qui
nos soste TANQUAN per terra annam. (3)
SI,
SE de SI latin:
“SI
jo returnar no l' int pois." (4)
Que
us non o preza SI s trada son parent. (5)
PERO
signifia POUR CELA, POURTANT:
PERO
Boecis trastuz los en desment. (6)
PUR
TAN QUE fut aussi employé dans le sens de POURVU QUE:
Per
cui salves m' esper, PUR TAN qu' ell clamam. (7)
(1) "AINSI
QUE on, par droit, son frère sauver doit." Serment de 842. (2)
DE MÊME QUE le brouillard couvre le jour le bon matin...
(3)
Qui nous soutient TANT QUE par terre nous allons.
Poëme
sur Boece.
(4)
"Si je détourner ne l' en puis." Serment de 842.
(5)
Que l' un ne cela prise S' il livre son parent.
(6)
POURTANT Boece trèstous les en dément.
(7)
Par qui sauvé m' espère POURVU que lui nous appelons.
Poëme
sur Boece.
Quand
je rassemble les principales formes qui déja constituaient la langue
romane à l' époque reculée dont j' emprunte mes exemples, je ne
dois pas omettre l' usage des élisions écrites; c'est l' un des
caractères de la langue romane que de marquer, comme les Grecs, par
la suppression des voyelles, les élisions qu' elles subissaient les
unes avec les autres.
Quand
l' élision porte sur la voyelle qui termine le mot, elle s' appelle
Apocope.
Quand
elle porte sur la voyelle qui le commence, elle s' appelle Aphérese.
On
trouve l' apocope dans le serment de 842:
D' ist di est employé
pour DE ist di
Retornar L' int est employé pour LO int.
Dans
les actes de 960:
M' en commonras, ME en.
T' en sere... ni
t' en tolrei, TI en … TE en.
Dans le poeme sur Boece:
D'
aur non sun, DE aur.
Vai s' onors, SA onors.
Etc. Etc.
L'
aphérèse se trouve dans les titres de 960:
No
'L vos tolrem, no 'L te vedarei, pour no EL VOS, no EL te.
No' LS
tolran, no ELS tolran.
Dans le poeme sur Boece:
L'
om no 'l laiset, no EL.
Bella
's la domna; bella ES.
Quelquefois
la voyelle finale disparaît, sans qu' il y ait élision, le mot
suivant commençant par une consonne:
Actes de 960. Qui la L
devedara, pour LI.
Poeme sur Boece Tu M fezist, pour
ME
Que s fi' e son aver, pour SE, etc, etc.
Enfin,
par syncope, la langue romane supprima souvent des consonnes finales
ou intérieures, sur-tout les N.
Le
poème sur Boece en offre beaucoup d' exemples:
E
la carcer, pour EN.
Anc no vist u, pour UN.
Per NEGU
torment pour NEGUN.
Ta mala fe, pour TAN.
EVERS Deu,
EFERMS, pour ENVERS, ENFERMS.
Je pourrais rassembler encore
quelques formes, quelques locutions de la langue romane, éparses
dans les monuments qui ont fourni mes observations et les exemples
cités. (1) Mais je renvoie ces détails à la grammaire même de la
langue.
(1) Telles que les signes de comparaison, les verbes
employés d' une manière impersonnelle, les doubles négations, etc.
J'
ai indiqué ses principaux caractères, ses formes essentielles. Je
suis loin de croire que le nouvel idiôme ait été produit,
dégrossi, et régularisé tout-à-coup. En présentant cet ensemble
grammatical, j' ai rapproché et réuni, sous un seul point de vue,
les résultats progressifs du long usage des peuples.
J'
ose dire que l' esprit philosophique, consulté sur le choix des
moyens qui devaient épargner à l' ignorance beaucoup d' études
pénibles et fastidieuses, n' eût pas été aussi heureux que l'
ignorance elle-même; il est vrai qu' elle avait deux grands maîtres:
la Nécessité et le Temps.
La
langue romane est peut-être la seule à la formation de laquelle il
soit permis de remonter ainsi, pour découvrir et expliquer le secret
de son industrieux mécanisme: J' ai mis à cette recherche autant de
patience que de franchise; et, dans le cours de mes investigations
grammaticales, j' ai eu souvent occasion de reconnaître la vérité
de l' axiôme: Non, quia difficilia sunt, non audemus; sed, quia non
audemus, difficilia sunt.
En
considérant à quelle époque d' ignorance et de barbarie s' est
formé et perfectionné ce nouvel idiôme, d' après des principes
indiqués seulement par l' analogie et l' euphonie, on se dira
peut-être, comme je me le suis dit: l' homme porte en soi-même les
principes d' une logique naturelle, d' un instinct régulateur, que
nous admirons quelquefois dans les enfants. Oui, la providence nous a
dotés de la faculté indestructible et des moyens ingénieux d'
exprimer, de communiquer, d' éterniser par la parole, et par les
signes permanents où elle se reproduit, cette pensée qui est l' un
de nos plus beaux attributs, et qui nous distingue si éminemment et
si avantageusement dans l' ordre de la création.
Fin
des recherches sur l' origine et la formation de la langue romane.
Grammaire
de la Langue Romane......